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A. Cassiers, ‘L’évolution de la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question de l’avortement’, Family & Law 2021, januari-maart, DOI: 10.5553/FenR/.000049

DOI: 10.5553/FenR/.000049

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L’évolution de la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question de l’avortement

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A. Cassiers, 'L’évolution de la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question de l’avortement', Family & Law February 2021, DOI: 10.5553/FenR/.000049

    La présente contribution vise à analyser les développements jurisprudentiels de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’interruption de grossesse. Nous formulons une réponse à la question suivante: vu de l’évolution de la jurisprudence, quelles conclusions pouvons-nous tirer sur la position actuelle de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question du droit et de l’accès à l’avortement? À travers une analyse des décisions et arrêts rendus par la Commission et la Cour, nous étudions la façon dont les différents intérêts et droits s’articulent, à savoir ceux de la femme enceinte, du père potentiel, de l’enfant à naître et de la société. Au terme de cette étude, nous déterminons la marge d’appréciation dont jouissent les états membres en la matière, ainsi que la manière dont la Cour réalise une balance des différents intérêts en présence.

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    This contribution aims to analyze the case-law developments of the European Commission of Human Rights and the European Court of Human Rights in matters of termination of pregnancy. We formulate an answer to the following question: regarding the case-law developments, what can we conclude on the European Court of Human Rights’ current position on the right and access to abortion? Through an analysis of the Commission and the Court’s decisions and judgments, we study how the different interests and rights are articulated, namely those of the pregnant woman, the potential father, the unborn child, and the society. At the end of this study, we determine the member states’ margin of appreciation regarding abortion and how the Court finds a balance between the various concerned interests.

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      « Ainsi, si certains refusent l’évidence du droit à l’avortement au nom du fœtus, d’autres refusent l’évidence du fœtus au nom de l’avortement. »1x P. HENNION-JACQUET, « D’un avortement… l’autre? », D., n° 37, 2007, p. 2648.

      1. En Pologne, des dizaines de milliers de citoyens descendent dans les rues pour manifester leur mécontentement face à la décision2x Trib. const. Polonais, 22 octobre 2020, affaire K 1/20, disponible sur: https://trybunal.gov.pl/postepowanie-i-orzeczenia/wokanda/art/11253-planowanie-rodziny-ochrona-plodu-ludzkiego-i-warunki-dopuszczalnosci-przerywania-ciazy?tx_ttnews%5Bday%5D=22&tx_ttnews%5Bmonth%5D=10&tx_ttnews%5Byear%5D=2020&cHash=ae29c588ed47d584b0404ccc6f22759; extraits en français: https://eclj.org/eugenics/eu/avortement-eugenique--le-jugement-du-tribunal-constitutionnel-polonais-extraits-. du Tribunal constitutionnel polonais de restreindre les motifs autorisant une interruption médicale de grossesse. Suite à cet arrêt, les possibilités d’avorter en Pologne deviennent quasi inexistantes, étant donné que seules les grossesses résultant d’un viol ou d’un inceste, ou encore mettant en danger la santé de la femme enceinte, peuvent être interrompues.3x Voir: article 4a de la loi du 7 janvier 1993 sur l’avortement (Pologne). Un avortement en raison d’une malformation grave chez le fœtus est désormais considéré comme « eugénique » et « portant atteinte à la dignité humaine des enfants non encore nés ».4x M. PRONCZUK, « Poland Court Ruling Effectively Bans Legal Abortions », The New York Times, 22 octobre 2020, disponible sur: https://www.nytimes.com/2020/10/22/world/europe/poland-tribunal-abortions.html?action=click&module=RelatedLinks&pgtype=Article; X., « Le droit à l’IVG pratiquement supprimé en Pologne - GAZETA WYBORCZA », Le courrier international, 23 octobre 2020, disponible sur: https://www.courrierinternational.com/une/regression-le-droit-livg-pratiquement-supprime-en-pologne; X., « En Pologne, quatre jours de manifestations contre la quasi-suppression du droit à l’avortement - GAZETA WYBORCZA », Le courrier international, 26 octobre 2020, disponible sur: https://www.courrierinternational.com/article/colere-en-pologne-quatre-jours-de-manifestations-contre-la-quasi-suppression-du-droit. La volonté d’interrompre sa grossesse n’est pas un fait nouveau et remonterait à l’Antiquité. Les premières lois en Europe dépénalisant partiellement l’avortement datent du XXème siècle. La Cour européenne des droits de l’homme, et auparavant la Commission européenne des droits de l’homme, ont eu à juger de plusieurs affaires en la matière. En effet, certains citoyens se trouvent tantôt mécontents d’une législation trop progressiste en matière d’avortement, certaines citoyennes tantôt insatisfaites des conditions trop restrictives dans lesquelles elles peuvent y avoir accès. Face aux recours contre les décisions et législations nationales, la Commission et la Cour ont dû trouver un équilibre entre les différents intérêts à sauvegarder, à savoir ceux de la femme enceinte, du père potentiel, de l’enfant à naître5x Selon les affaires, la Cour utilise plutôt « enfant à naître », « embryon » ou « fœtus ». Dans cette contribution, nous utiliserons ces termes comme des synonymes, même si d’un point de vue strictement scientifique il existe une différence entre l’embryon et le fœtus. et de la société. La décision polonaise passerait-elle le test de la Cour européenne des droits de l’homme si cette dernière est amenée à juger de l’équilibre ainsi réalisé?
      2. La présente contribution vise à analyser les développements jurisprudentiels de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’interruption de grossesse et à répondre à la question suivante: au vu de l’évolution de la jurisprudence, quelles conclusions pouvons-nous tirer sur la position actuelle de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question de l’avortement? Il est possible de constater certaines évolutions dans la jurisprudence, mais il est difficile de déterminer les facteurs qui induisent un tel changement: s’agit-il plutôt du fait que les affaires qui sont soumises à la Cour sont intrinsèquement différentes ou la Cour suit-elle le mouvement de libéralisation envers l’avortement qui a (eu) lieu dans de nombreux États?
      3. Nous aborderons d’abord brièvement les instruments législatifs du Conseil de l’Europe qui s’appliquent en matière d’interruption de grossesse (I.). Nous analyserons ensuite succinctement, dans un ordre chronologique, les affaires soumises à la Commission (II.) avant d’examiner de manière plus détaillée celles portées devant la Cour européenne des droits de l’homme (III.). Enfin, nous conclurons notre propos par quelques réflexions sur la position actuelle de la Cour (IV). Tous les décisions et arrêts rendus à notre connaissance en matière d’avortement seront abordés, soit dans le texte, soit en note infrapaginale.6x Notre recherche fut élaborée sur la base de recherches dans HUDOC et d’analyses doctrinales et jurisprudentielles.

    • Les Instruments législatifs du Conseil de l’Europe

      La Convention européenne des droits de l’homme7x Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, MB 19 août 1955. ci-après « CEDH ».

      4. Si aucune disposition de la Convention ne se réfère directement à la question de l’avortement, l’article 2 protège néanmoins le droit à la vie. Ainsi, le droit à la vie du fœtus, s’il est reconnu8x Voir notamment C.E.D.H. (GC) 8 juillet 2004, Vo c. France, req. n° 53924/00. La question de la protection du fœtus et a fortiori de son droit à la vie n’est pas résolue au sein de la jurisprudence de la Cour. Ce débat ne fera pas l’objet de la présente contribution. Cf. infra: X. c. Norvège, X. c. Autriche, X. c. Royaume-Uni, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, Boso c. Italie, doit être confronté aux droits de la femme enceinte, à savoir son droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH)9x Cf. infra: Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, X. c. Royaume-Uni, H. c. Norvège, Boso c. Italie, Tysiaç c. Pologne, A, B et C c. Irlande, R.R. c. Pologne et P. et S. c. Pologne., largement interprété par la Cour10x Voir: C.E.D.H. 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, req. n° 2346/02, § 61., ou encore son droit à ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant (art. 3 CEDH)11x Cf. infra: R.R. c. Pologne et P. et S. c. Pologne.. Dans certaines affaires, s’ajoutent en outre le droit au respect de la vie familiale (art. 8 CEDH)12x Cf. infra: X. c. Royaume-Uni, X. c. Autriche, H. c. Norvège et Boso c. Italie. du père potentiel et les valeurs défendues par la société qui permettent de limiter certains droits.13x Voir: J-M. LARRALDE, « La Cour européenne et la promotion des droits de l’homme et la promotion des droits des femmes », Rev. trim. dr. h., n° 71, 2007, pp. 858-859. Le droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH)14x Cf. infra: Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, Grimmark c. Suède et Steen c. Suède., plus précisément le droit de donner des informations sur les possibilités d’interruptions de grossesse a déjà été invoqué devant la Cour. Ensuite, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9 CEDH)15x Cf. infra: Grimmark c. Suède et Steen c. Suède. peut s’opposer au droit des femmes enceintes lorsque les professionnels de la santé souhaitent invoquer leur clause de conscience. Enfin, certains griefs ont été amenés sous l’angle du principe de non-discrimination (art. 14 CEDH)16x Cf. infra: Tysiaç c. Pologne, A, B et C c. Irlande, Grimmark c. Suède et Steen c. Suède..

      La Résolution 1607 (2008)

      5. En 2008, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a publié une résolution concernant « l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe »17x Résolution (Conseil de l’Europe) n° 1607 (2008) de l’Assemblée parlementaire du 16 avril 2008 relative à l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe, http://assembly.coe.int., après avoir constaté que de nombreuses femmes recourent à des avortements illégaux et à risque, en particulier dans les pays d’Europe centrale et orientale18x Proposition de résolution (Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe), L’avortement et ses conséquences pour les femmes et les jeunes filles en Europe, 24 janvier 2006, doc. 10802, http://assembly.coe.int. Loin d’être encouragé (§ 1.), l’avortement doit toutefois être autorisé et accessible dans certaines conditions.19x Voir aussi: Résolution du Parlement européen du 3 juillet 2002 sur la santé et les droits sexuels et génésiques (2001/2128 (INI)), J.O., C.271, 12 novembre 2003, pp. 369-374: cette résolution dispose que l’avortement ne doit pas être considéré comme une mesure de planning familial (§ 8) et que les États doivent mettre en œuvre des politiques de prévention pour éviter les grossesses non désirées et les avortements peu sûrs (§ 10) et prévoir des alternatives à l’avortement (adoption par exemple) (§ 11). L’avortement légal et sûr doit toutefois être accessible, afin de protéger la santé sexuelle et génésique des femmes (§ 12). Enfin, les États doivent aussi s’abstenir de poursuivre en justice les femmes qui auraient avorté dans des conditions illégales (§ 13). L’Assemblée note en effet que l’avortement est légal dans la plupart des pays à certaines conditions, mais que l’accès effectif n’est pas garanti, voire impossible dans les faits (§ 2.). À cet égard, les États sont invités à garantir l’exercice effectif du droit d’accès à un avortement sans risque et légal (§ 7.2.). L’Assemblée invite aussi les États à autoriser l’avortement « dans les délais de gestation raisonnables » (§ 4.). Il s’avère en effet qu’interdire les avortements ne réduit pas leur nombre mais que ceux-ci sont alors pratiqués dans des conditions clandestines et souvent dangereuses (§ 4.). Les États membres sont donc priés de dépénaliser l’avortement lors des premières semaines de grossesse (§ 7.1.). En outre, l’Assemblée rappelle l’importance du droit au respect de l’intégrité physique et de la libre disposition du corps, en particulier dans ce contexte-ci pour les femmes. Le choix d’avorter doit donc revenir à la femme (§ 6.). L’État doit s’assurer qu’elle dispose effectivement de ce droit de choisir et qu’elle bénéficie des conditions nécessaires pour faire un choix libre et éclairé, sans pour autant que l’avortement soit promu (§ 7.3.). Enfin, l’Assemblée indique que la prévention, au moyen de politiques et stratégies appropriées, dont notamment l’éducation sexuelle et relationnelle, est importante (§§ 5., 7.5. et 7.7). L’accès à la contraception et aux informations relatives à celle-ci doit être assuré (§ 7.6.). Dans les affaires qui suivirent l’adoption de cette résolution, la Cour ne mentionne qu’une seule fois cette résolution, sans en tirer aucune conclusion (affaire A, B et C c. Irlande).

    • Jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme

      X. c. Norvège

      6. La première affaire portée devant la Commission des droits de l’homme dans laquelle il fut question d’avortement et de violation du droit à la vie de l’enfant à naître fut l’affaire X. c. Norvège (1961). Dans cette affaire, un homme se plaignait de la nouvelle législation norvégienne autorisant l’avortement dans certaines circonstances. Pour lui, cette législation violait le « droit à avoir une descendance » et les droits de l’homme dont doit jouir l’embryon humain dès sa conception. Il se demandait dans quelles circonstances et conditions ces droits peuvent être limités, et, dans le cas où l’embryon ne peut profiter de ces droits dès sa conception, à partir de quel stade de son développement il le pourrait.20x Commission E.D.H. (décision recevabilité) 29 mai 1961, X. c. Norvège, req. n° 867/60, Rec., n° 6, 1961; Yearbook of the european convention on human rights – Annuaire de la convention européenne des droits de l’homme, 1961, pp. 271-272. La Commission ne répond pas à ces questions et rejette la demande car le requérant n’a pas la qualité de victime. Il n’était en effet pas lui-même directement sujet à une violation de la Convention dans son chef.21x Ibid., pp. 275-276.
      7. La Commission rejette quelques années plus tard une affaire semblable, X. Autriche (1976)22x Commission E.D.H. (décision recevabilité) 10 décembre 1976, X. c. Autriche, req. n° 7045/76, DR, n° 7, pp. 89-90., pour des raisons similaires, à savoir qu’il s’agissait d’une actio populis.

      Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne

      8. Dans la décision de recevabilité de l’affaire Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne (1976), la Commission déclare recevable la requête visant à analyser in abstracto, sous l’angle du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH), la nouvelle législation allemande sur l’avortement. Les requérantes, mesdames Bruggeman et Scheuten, se plaignaient de ce que la législation allemande restreignait leur liberté de recourir à l’avortement en cas de grossesse non désirée. La Commission admet que « la grossesse et l’interruption de grossesse relèvent de la vie privée et aussi, dans certaines conditions, de la vie familiale. Elle estime en outre que le droit au respect de la vie privée ‘’comprend également, dans une certaine mesure, le droit d’établir et d’entretenir des relations avec d’autres êtres humains, notamment dans le domaine affectif (…)’’ et que la vie sexuelle relève donc elle aussi de la vie privée; en particulier, que la réglementation juridique de l’avortement constitue une ingérence dans la vie privée qui peut ou non se justifier en vertu de l’article 8, § 2 »23x Commission E.D.H. (décision recevabilité) 19 mai 1976, Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, req. n° 6959/75, DR, n° 5, p. 128 (nous soulignons).. Les questions relatives à l’avortement sont en effet « d’une complexité et d’une importance qui appellent un examen du fond de l’affaire ».24x Ibid., p. 129. Le Comité des Ministres, en se basant sur le rapport de la Commission25x Voir: Commission E.D.H. (rapport) 12 juillet 1977, Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, req. n° 6959/75, DR, n° 10, §§ 50-66., décide toutefois de conclure à la non-violation de l’article 8 de la Convention: en effet, la grossesse et son interruption ne relèvent pas exclusivement du droit au respect de la vie privée de la femme. Selon la Commission, la vie privée de la femme enceinte devient étroitement liée à celle du fœtus.26x Ibid., § 59. Ceci ne permet toutefois d’affirmer ni que le fœtus doit jouir du droit à la vie au sens de l’article 2 de la Convention, ni qu’il doit être considéré comme « autrui » au sens de l’article 8, §2, de la Convention.27x Ibid., § 60. La Commission remarque aussi que la loi allemande était l’une des plus libérales en la matière.28x Ibid., § 64. La législation en cause n’empiète dès lors pas sur le droit au respect de la vie privée de la femme enceinte.29x Commission E.D.H. (Comité des Ministres) 17 mars 1978, Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, req. n° 6959/75.

      X. c. Royaume-Uni

      9. La Commission a dû se prononcer une nouvelle fois dans une affaire qui lui était soumise par un homme. Bien que l’affaire X. c. Royaume-Uni30x À retrouver sur le site de la Cour sous le nom de W.P. c. Royaume-Uni (req. n° 8416/78) ou parfois dans la littérature sous le nom de Paton c. Royaume-Uni. (1980) soit principalement analysée sous l’angle du droit à la vie (art. 2 CEDH), la Commission devait également se prononcer sur la recevabilité de la requête concernant le droit au respect de la vie privée du « père d’un fœtus » (art. 8 CEDH) dans le cas où celui-ci souhaitait s’opposer à l’exécution de l’avortement voulu par son ex-épouse.31x Commission E.D.H. 13 mai 1980, X. c. Royaume-Uni, req. n° 8416/79, DR, n° 19, § 25. À cet égard, la Commission estime, d’une part, que l’ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale est justifiée comme étant nécessaire « à la protection des droits d’autrui » (art. 8, § 2 CEDH), à savoir la protection de la santé physique et mentale de son ex-épouse, et, d’autre part, que le droit au respect de la vie privée de la femme enceinte prime sur celui du père potentiel car « elle est la principale intéressée à la poursuite ou à l’interruption de la grossesse ». La Commission estime par ailleurs que le droit au respect de la vie privée du père potentiel n’est pas suffisamment large pour « englober les droits de caractère procédural » comme le droit d’être consulté ou de saisir un tribunal pour un avortement souhaité par sa femme enceinte.32x Ibid., § 27. Voir: E. BREMS, S. OUALD-CHAIB, S. SMET et A. TIMMER, « Privéleven en gezinsleven », in EVRM R&C (aanvulling 87), Den Haag, Sdu Uitgevers, 2010, 3.8. – I.3.

      H. c. Norvège

      10. L’affaire H. c. Norvège (1992) est semblable à la précédente: le requérant souhaitait s’opposer à l’avortement sollicité par sa compagne en invoquant, entre autres, son droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). La Commission rejette toutefois la requête dans les termes suivants: « toute interprétation du droit du père potentiel au regard de ces dispositions, lorsqu’il s’agit d’un avortement que la mère se propose de faire pratiquer sur elle, doit avant tout tenir compte des droits de la mère, puisque c’est elle qui est essentiellement concernée par la grossesse, sa poursuite ou son interruption. La Commission estime dès lors que toute ingérence pouvant être présumée dans les circonstances de l’espèce33x Le couple désirait un enfant mais la jeune femme, une fois enceinte, se ravisa et choisit d’avorter à quatorze semaines « pour des raisons d’ordre moral ». Son partenaire ne fut pas consulté et s’y opposa, mais en vain. se justifiait comme nécessaire à la protection des droits d’autrui. »34x Commission E.D.H. 19 mai 1992, H. c. Norvège, req. n° 17004/90, DR, n° 73, p. 184.

      Conclusion intermédiaire

      11. Dans un premier temps (X. c. Norvège et X. c. Autriche), la Commission rejette les demandes soumises par des pères potentiels car ceux-ci n’avaient pas la qualité de victimes directes de la législation. Ensuite (Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne), et cela est important pour la suite, elle conclut que la question de l’avortement tombe sous le champ d’application du droit au respect de la vie privée de la femme enceinte. Elle n’explique cependant pas pour quelles raisons elle tire une telle conclusion, même s’il semble logique que l’avortement ressorte du droit à l’intégrité physique et du droit au respect de la vie familiale de la femme enceinte. Toutefois, nous conviendrons que différents droits et intérêts sont en jeu en matière d’interruptions de grossesse et que le droit de la femme enceinte ne peut justifier à lui seul de devoir autoriser l’avortement en cas de grossesse non désirée. Enfin, suite aux deux dernières décisions (X. c. Royaume-Uni et H. c. Norvège), les « pères potentiels » peuvent conclure que leurs chances de s’opposer à la décision d’avorter de leurs (ex-)partenaires sont nulles. La Commission estime que le droit au respect de la vie privée de la femme enceinte prime sur le droit au respect de la vie familiale du « père du fœtus » et que celui ne peut imposer à la femme enceinte de poursuivre sa grossesse. C’est en effet la femme qui est « essentiellement » concernée par la grossesse et sa poursuite.
      12. La Commission ne nous semble point généreuse dans les explications qu’elle donne pour justifier l’acceptation ou le rejet des griefs, ce qui résulte en de nombreuses interrogations pour le lecteur à la suite de ces décisions. Cette jurisprudence laconique et limitée n’est toutefois pas insignifiante car la Cour s’y réfèrera pour construire sa position en la matière. L’applicabilité de l’article 8 de la Convention en matière d’interruptions de grossesse ne sera pas remise en cause par la suite, tout comme la prévalence du droit au respect de la vie privée de la femme enceinte sur celui du père potentiel.

    • Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

      Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande

      13. L’affaire Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande35x C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88. (1992) fut la première occasion pour la Cour européenne des droits de l’homme de se positionner en matière d’avortement. Dans cette affaire, la Cour devait se prononcer sur l’interdiction de la diffusion d’informations à propos des possibilités qui existaient pour avorter en Angleterre, et ce sous l’angle du droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH).

      Les faits et l’arrêt de la Cour

      14. En 1988, la Cour Suprême irlandaise émit une injonction interdisant à deux associations s’occupant des femmes de fournir des informations relatives à l’avortement en Angleterre, vu que l’avortement n’était pas autorisé en Irlande, à moins que la vie de la femme enceinte soit en danger. Ces associations offraient en effet un support aux femmes enceintes dans le cadre de consultations non directives.36x C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, § 9. Par leur assistance aux femmes enceintes dans leur choix d’avorter ou non, la Cour Suprême irlandaise estima que « [les défenderesses] contribuaient en définitive à la destruction de vies à naître », ce qui est contraire au droit à la vie de l’enfant à naître reconnu par la Constitution irlandaise (art. 40, § 3, al. 3).37x Ibid., § 17. Les requérantes, à savoir les deux associations susmentionnées ainsi que deux conseillères, se plaignaient d’une ingérence injustifiée dans leur droit de communiquer des informations (art. 10 CEDH) ainsi que d’en recevoir.38x Ibid., § 39.
      15. La Cour reconnait que l’injonction en question porte atteinte à la liberté des sociétés requérantes de communiquer des informations (art. 10 CEDH).39x Ibid., § 55. Au regard du second paragraphe de l’article 10, une telle ingérence de l’État peut être justifiée, à condition de répondre aux conditions du triple test.
      16. Tout d’abord, la restriction doit être « prévue par la loi ». Ni la Constitution irlandaise, ni la loi pénale n’interdisaient les interruptions de grossesse en dehors de l’Irlande ou la communication de conseils non directifs aux femmes enceintes. Il ressort toutefois de la jurisprudence irlandaise que les violations de droits constitutionnels, à savoir la protection de la vie de l’enfant à naître, pouvaient faire l’objet d’actions en justice. Le fonctionnement des juridictions irlandaises, garantes des droits constitutionnels, permettait aux requérantes de prévoir raisonnablement qu’elles risquaient de s’exposer à des poursuites judiciaires en raison de leurs pratiques.40x Ibid., §§ 59-60.
      17. En ce qui concerne la question de savoir si l’ingérence poursuit l’un des buts légitimes prévus par l’article 10, §2, de la Convention, la Cour affirme que « la protection garantie par le droit irlandais au droit à la vie des enfants à naître repose, à l’évidence, sur de profondes valeurs morales concernant la nature de la vie ». Ceci est confirmé par le référendum de 1983 lors duquel la majorité du peuple irlandais a voté contre l’avortement. L’ingérence poursuit donc « le but légitime de protéger la morale, dont la défense en Irlande du droit à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect ». À cet égard, la Cour n’estime pas nécessaire « de rechercher si le pronom ‘’autrui’’, tel que l’emploie l’article 10 par. 2 (…), englobe l’enfant à naître ».41x Ibid., § 63. En effet, « la protection des droits et libertés d’autrui » permet aussi de justifier une ingérence de l’État.
      18. Enfin, la Cour doit juger de la « nécessité » de la restriction dans une « société démocratique ». D’après le Gouvernement irlandais, la protection de la vie de l’enfant à naître (art. 2 CEDH) rendait l’injonction nécessaire dans une société démocratique.42x Ibid., § 65. Comme les requérantes ne revendiquaient pas que la Convention garantisse un droit à l’avortement mais remettaient uniquement en cause l’injonction de la Cour Suprême, la Cour européenne relève qu’elle ne doit pas déterminer in casu « si la Convention garantit un droit à l’avortement ou si le droit à la vie, reconnu par l’article 2 (…), vaut également pour le fœtus. »43x Ibid., § 66. La Cour souhaite se limiter à l’analyse du caractère nécessaire de la restriction à la liberté de fournir des informations.44x Ibid., § 66. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle « ne saurait admettre que l’État possède, dans le domaine de la protection de la morale, un pouvoir discrétionnaire absolu et insusceptible de contrôle »45x Ibid., § 68.. L’État jouit certes d’une large marge d’appréciation, vu que l’affaire concerne « des questions de croyance sur la nature de la vie humaine » et que « les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu précis des exigences de cette dernière comme sur la ‘’nécessité’’ d’une ‘’restriction’’ ou ‘’sanction’’ destinée à y répondre ».46x Ibid., § 68. La Cour doit donc analyser si la mesure prise est « nécessaire », c’est-à-dire si elle répond à « un besoin social impérieux » et est « proportionnée au but légitime poursuivi ». La Cour estime que le caractère « absolu » et la « portée radicale » de l’interdiction de communiquer des informations aux femmes enceintes, sans pouvoir tenir compte de leur situation et leurs raisons, n’est pas justifié. L’ingérence se révèle dès lors « trop large et disproportionnée ».47x Ibid., §§ 70-74. Par ailleurs, la Cour note que l’activité des requérantes consistait à fournir des informations et que le lien entre cette activité et la destruction des vies à naître n’est pas si clair. Enfin, cette injonction présente un risque pour la santé des femmes qui, faute de conseils appropriés, devront notamment se tourner vers d’autres sources d’information et de soins.48x Ibid., §§ 75-77. La Cour conclut dès lors à une violation de l’article 10 de la Convention.49x Ibid., § 80.

      Commentaires

      19. La violation de l’article 10 de la Convention a été votée par quinze voix contre huit et la décision de la Cour est assortie de nombreuses opinions dissidentes, ce qui accentue d’autant plus l’absence d’unanimité parmi les juges. En outre, comme Sudre le remarque, cette affaire n’est pas une simple affaire sur la liberté d’expression mais concerne surtout la relation entre le droit à la vie de l’enfant à naître (art. 2 CEDH) et le droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH).50x F. SUDRE, « L’interdiction de l’avortement: le conflit entre le juge constitutionnel irlandais et la Cour européenne des droits de l’homme », Revue française de droit constitutionnel, n° 13, 1993, pp. 216 et 222.

      Le triple test et la marge d’appréciation accordée à l’État

      20. Une première critique porte sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi », telle qu’interprétée dans son sens large.51x L. DUBOUIS, « La liberté d’information sur les possibilités d’IVG à l’étranger au regarde de la CEDH », Revue de droit sanitaire et social, 1993, p. 38; F. RIGAUX, « La diffusion d’informations relatives aux interruptions médicales de grossesse et la liberté d’expression », Rev. trim. dr. H., n° 14, 1993, p. 350. Pour le juge Morenilla, contrairement à la conclusion de la Cour, la législation ne répondait pas au degré de clarté nécessaire.52x Voir: C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion concordante du juge MORENILLA. Ce juge estime que la disposition constitutionnelle irlandaise (art. 40) n’est pas une base législative suffisante et claire pour permettre « à l’individu de prévoir qu’il serait illicite de communiquer des informations sérieuses sur des cliniques de Grande-Bretagne pratiquant l l’avortement: ni la législation pénale, administrative ou civile alors en vigueur en matière d’avortement (…), ni la jurisprudence irlandaise (…) relative à la protection du droit à la vie des enfants à naître et antérieure au Huitième Amendement (…), n’offraient une base suffisante à une telle affirmation; d’ailleurs, avant la présente affaire la Cour suprême irlandaise n’avait pas eu l’occasion d’interpréter le Huitième Amendement. »
      21. La question de savoir si l’ingérence « poursuit un but légitime » n’est pas discutée: la Cour admet que la loi irlandaise vise à protéger la morale, ce qui lui évite ainsi de devoir déterminer si la loi vise aussi à protéger « autrui », et donc si l’embryon doit être considéré comme « autrui ».53x Voir: L. DUBOUIS, 1993, pp. 38-39. Pour le juge De Meyer, la problématique porte davantage sur la question de la protection du droit à la vie de l’enfant à naître que sur la question de la protection de la morale.54x C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion séparée du juge DE MEYER. Voir aussi: F. RIGAUX, 1993, p. 351. Cette approche de la Cour nous semble en effet regrettable, dès lors que la Cour ne se positionne ni sur la question du statut de l’embryon, ni sur la nécessité d’une mesure qui constitue une ingérence dans les droits d’autrui, dans l’hypothèse où l’embryon serait reconnu comme « autrui ».55x Contra: L. DUBOUIS (1993, pp. 39-40) qui estime que ce n’est pas à la Cour de déterminer le statut de l’embryon et de l’imposer aux États. C’est la tâche des États qui devraient, au mieux, s’accorder sur la question de la portée de l’article 2 de la Convention.
      22. En évitant de se prononcer sur la question de la protection de l’enfant à naître, la Cour contourne une importante difficulté. En effet, l’article 60 de la Convention dispose qu’en cas de conflit entre une disposition nationale et la Convention, si la disposition nationale est plus protectrice, celle-ci l’emporte. Cela découle du principe selon lequel la Convention n’édicte qu’un standard minimum en matière de droit fondamentaux et que les États sont autorisés à prévoir une protection plus élevée.56x Voir: C.E.D.H. (GC) 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, req. n° 5493/72, § 54. In casu, il est évident que la Constitution irlandaise (art. 40.3.3) assure une protection plus élevée, et surtout plus claire, de la vie de l’enfant à naître. Dès lors, en décidant de se fonder sur la protection de la morale et non pas sur la protection des droits et libertés d’autrui (et donc aborder la question du droit à la vie du fœtus) pour déterminer si l’ingérence de l’Irlande dans le droit à la liberté d’expression est justifiée, la Cour n’est pas tenue de faire primer la législation irlandaise qui garantit clairement une meilleure protection du fœtus.57x F. SUDRE, 1993, pp 219-220.
      23. Ensuite, l’ingérence doit être « nécessaire » et « proportionnée ». À cette fin, la Cour doit déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation qu’elle accorde à l’État pour prendre des mesures, afin de déterminer si celles-ci n’excèdent pas la marge d’appréciation. La Cour détermine que la marge d’appréciation est large sur la base de deux facteurs. D’une part, l’importance de l’aspect « moral » de l’affaire permet de justifier une large marge d’appréciation. D’autre part, l’État, dans la mesure où il se trouve en contact plus direct avec les forces vives du pays, est le mieux placé pour prendre les mesures adéquates afin de protéger les intérêts moraux, particulièrement dans un domaine qui concerne les croyances sur la nature humaine.58x C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion dissidente du juge CREMONA Voir: C.E.D.H. (GC) 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, req. n° 5493/72, § 48. En principe, la Cour aurait également dû tenir compte de l’absence de consensus européen à propos du droit à la vie du fœtus, qui doit aussi permettre de justifier une large marge d’appréciation dans le chef de l’État.59x F. SUDRE, 1993, pp. 220-221.
      24. Toutefois, selon Thompson, la Cour applique un raisonnement inconsistant d’une affaire à l’autre par rapport aux facteurs qui ont une influence sur l’ampleur de la marge d’appréciation. Cette auteure estime notamment que le raisonnement est illogique en comparaison avec les conclusions tirées par la Commission dans l’affaire X c. Royaume-Uni (cf. supra n° 9).60x A. THOMPSON, « International Protection of Women’s Rights: An Analysis of Open Door Councelling Ltd. and Dublin Well Women Centre v. Ireland », Boston University International Law Journal, vol. 12, n° 2, 1994, pp. 399-400. Dans Open Door c. Irlande, la Cour juge l’affaire sous l’angle de la morale publique plutôt que sous celui du droit au respect de la vie privée des femmes: ainsi, comme il s’agit d’un enjeu de moralité publique, l’État jouit d’une large marge d’appréciation.61x Ibid., p. 402. Toujours selon cette auteure, dont nous partageons l’avis, l’usage fait par la Cour de la marge d’appréciation est ici critiquable car la Cour adopte ainsi une position discriminatoire: en effet, la Cour n’a pas toujours laissé aux États une marge d’appréciation aussi large dans tous les domaines sensibles. Dans le cas d’espèce, la Cour refuse en quelque sorte d’assurer l’effectivité des droits garantis par la Convention, en particulier ceux des femmes dans le domaine de la reproduction (cf. infra n° 26).62x Ibid., p. 406.
      25. Face à cette large marge d’appréciation, la Cour doit encore déterminer si les mesures adoptées sont proportionnées et nécessaires « dans une société démocratique ». La Cour juge à cet égard que ce n’est pas le cas. Toutefois, pour le juge Cremona, il n’y a pas eu de violation de l’article 10 de la Convention. En effet, il estime que les mesures prises par l’État irlandais répondent au critère de nécessité, au « besoin social impérieux »: en Irlande, la protection de la vie de l’enfant à naître a une place primordiale et est un principe fondamental ancré dans la Constitution, ce qui est d’ailleurs confirmé par le référendum national contre l’avortement de 1983.63x C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion dissidente du juge CREMONA. Voir aussi: F. SUDRE, 1993, p. 221; P. TAVERNIER, « Chronique de jurisprudence de la CEDH (année 1992) », JDI, n° 3, 1993, pp. 754-755. La Cour accorde une large marge d’appréciation notamment parce que les autorités nationales connaissent mieux les exigences locales, qui sont, in casu, reflétées à travers ce référendum. Il est dès lors regrettable selon lui que la Cour n’ait pas davantage tenu compte de cette donnée dans l’appréciation de la nécessité de la mesure.64x F. SUDRE, 1993, p. 220. Dans ce sens, Sudre s’interroge sur la légitimité dont la Cour bénéficie pour sanctionner une décision d’une cour suprême fondée sur une disposition constitutionnelle adoptée par un référendum national.65x F. SUDRE, 1993, p. 222. De plus, le juge Cremona estime qu’il existe une certaine proportionnalité dans les mesures prises car l’interdiction n’empêche nullement de s’exprimer en faveur de l’avortement, n’entrave pas la liberté de mouvement des femmes qui souhaitent se rendre à l’étranger ni ne soumet les femmes à des examens médicaux qu’elles ne souhaitent pas. L’État serait donc resté dans sa marge d’appréciation.66x C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion dissidente du juge CREMONA. Dans le même sens, le juge Matscher estime que les mesures prises peuvent être « qualifiées d’adéquates » pour atteindre le but légitime poursuivi. Pour lui, il n’appartient pas la Cour de remettre en question la légitimité des buts poursuivis si ceux-ci sont reconnus par la Convention. Les mesures prises par l’État sont un moyen approprié pour atteindre ce but légitime, et elles semblent nécessaires au risque de manquer complètement le but poursuivi par la Constitution irlandaise.67x C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion en partie dissidente du juge MATSCHER. Voir aussi: opinion dissidente des juges PETTITI, RUSSO, ROCHA et BIGI; opinion partiellement dissidente du juge BAKA; opinion dissidente du juge BLAYNEY.

      Sur le droit des femmes

      26. L’arrêt fut également critiqué pour son approche du droit des femmes. Garantir les droits reproductifs des femmes comme droits fondamentaux ne semble pas être une des priorités de la Cour dans l’arrêt Open Door c. Irlande. La Cour examine en effet la plainte uniquement sous l’angle du droit à la liberté d’expression et ne se penche pas sur le grief des requérantes relatif à la violation du droit au respect de la vie privée des femmes enceintes68x A. THOMPSON, 1994, p. 405., ce qui nous paraît regrettable. La Cour rate ainsi selon nous l’opportunité qui se présentait à elle d’assurer l’effectivité des droits reproductifs des femmes en préférant se retrancher derrière le prétexte que l’affaire concerne la moralité publique.69x Ibid., p. 406.

      Un flou sur le droit à avorter

      27. Cette affaire traite de la légalité, pour des associations irlandaises, de fournir des informations et des conseils sur les possibilités d’avortement hors du territoire national. Au lieu de traiter de la question d’un possible droit à l’avortement au nom du droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH) en conflit avec le droit à la vie de l’enfant à naître (art. 2 CEDH), la Cour se penche uniquement sur la question de savoir si l’ingérence de l’État dans le droit à la liberté d’information (art. 10 CEDH) est justifiée ou non.70x Voir: V. BERGER, Case Law of the European Court of Human Rights, Vol. III, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 214; F. SUDRE, M. LEVINET, B. PEYROT et B. ECOCHARD, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme - 1992 », Revue universelle des droits de l’homme, vol. 5, n° 1-2, 26 février 1993, p. 14; F. RIGAUX, 1993, p. 347.,71x Comp.: C.J.C.E. 4 octobre 1991, The Society for the Protection of Unborn Children Ireland Ltd. et Grogan e. a., aff. C-159/90: l’affaire a eu lieu suite à une ordonnance de la Cour Suprême irlandaise interdisant à des associations d’étudiants irlandaises de diffuser des informations sur les possibilités d’avortement à l’étranger, conformément à la loi irlandaise. La Cour de Justice a jugé, d’une part, que les services liés à l’avortement tombent sous le champ d’application de la libre circulation des biens et services (art. 60 Traité CEE) et, d’autre part, que l’interdiction de la promotion de tels services par des tiers autres que les cliniques étrangères responsables des services d’interruption de grossesse ne viole pas le droit communautaire (art. 59 et 62 Traité CEE). L’arrêt de la Cour de Justice adopte une autre approche que celle de la Cour européenne des droits de l’homme: en effet, la Cour de Justice vise à la mise en œuvre du droit européen dans sa perspective économique pour assurer un marché commun tandis que la seconde veille au respect des droits fondamentaux de l’être humain par les États. Cette approche économique de la problématique peut choquer vu qu’au nom de l’économie, des valeurs telles que la dignité humaine, la transmission de la vie, la culture, etc. sont remises en cause. La Cour européenne a ainsi pris une autre direction que la Cour de Justice et s’est prononcée dans le sens d’une violation du droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH), liberté civile et non économique. Voir aussi: L. DUBOUIS, « L’interruption volontaire de grossesse au regard du droit communautaire », Revue de droit sanitaire et social, 1992, pp. 52-53; H. GAUDEMET-TALLON, « Interdiction de diffuser des informations au sujet de cliniques pratiquant des interruptions volontaires de grossesse dans d’autres États membres », RTD Eur., n° 1, 1992, pp. 163-180; F. RIGAUX, « La diffusion d’informations relatives aux interruptions médicales de grossesse et la liberté d’expression », Rev. trim. dr. H., n° 14, 1993, p. 345. Ainsi, elle évite de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 2 de la Convention à l’enfant à naître et sur la question de la répression et de la criminalisation de l’avortement.72x F. RIGAUX, 1993, p. 347. La Cour conclut que les mesures prises sont disproportionnées, malgré l’ample marge d’appréciation accordée à l’État. L’ampleur de la marge d’appréciation est justifiée par le fait que le domaine en question traite de la moralité publique73x C’est d’ailleurs la première fois que la Cour se base sur la protection de la morale pour juger d’une ingérence dans le droit à la liberté d’expression. Un tel sacrifice de la morale publique au bénéfice de la liberté d’expression est critiquable selon certains. Voir: F. SUDRE, M. LEVINET, B. PEYROT et B. ECOCHARD, 1993, p. 15., à savoir des croyances sur le début de la vie humaine. Il semblerait donc que l’État puisse adopter une législation très stricte sur l’avortement, justifiée au nom de la protection de la cette morale publique, pour autant que celle-ci n’ait pas un caractère « absolu ».74x Voir: G. HOGAN, « The right to life and the abolition question under the European convention on human rights », in HEFFERMAN, L., Human rights. A European perspective, Dublin, Round Hall Press, 1994, p. 115. Cette approche particulière de la question est fort discutable et discutée, car la Cour évite ainsi de se prononcer sur la question plus fondamentale de savoir si le droit à la vie du fœtus doit être protégé ou non, et si les femmes jouissent d’un droit à avorter et, dans l’affirmative, dans quelles conditions.

      Boso c. Italie

      Les faits et l’arrêt de la Cour

      28. L’affaire Boso c. Italie (2002) traite de la recevabilité d’une plainte introduite par monsieur Boso, qui souhaitait obtenir un dédommagement suite à la décision de sa femme de subir une interruption de grossesse à laquelle il s’était opposé. À cette fin, il invoque une violation du droit à la vie (art. 2 CEDH), de son droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) et du droit au mariage (art. 12 CEDH).
      29. En ce qui concerne l’article 8 de la Convention, la Cour rappelle la jurisprudence de la Commission dans les affaires Bruggeman et Scheuten c. Allemagne et X. c. Royaume-Uni, à savoir que « lorsqu’une femme est enceinte, sa vie privée devient étroitement associée au [fœtus] qui se développe ».75x C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 5 septembre 2002, Boso c. Italie, req. n° 50490/99, p. 6. En outre, la Commission a aussi jugé dans les affaires X. c. Royaume-Uni et H. c. Norvège que le droit du père potentiel au respect de sa vie privée n’est pas suffisamment large pour « englober le droit d’être consulté ou celui de saisir un tribunal » à propos de l’avortement décidé par son épouse. Les droits du père potentiel face à l’avortement doivent toujours être interprétés en tenant compte des droits de la mère, vu qu’elle est la principale « concernée par la grossesse, sa poursuite ou son interruption ». Vu que l’avortement a été pratiqué pour sauvegarder la santé de la mère, conformément au droit italien, la Cour estime que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale du père potentiel (art. 8 CEDH) est justifiée comme « étant nécessaire à la protection des droits d’autrui ».76x Ibid., pp. 6-7.
      30. En ce qui concerne la plainte relative à la violation du droit au mariage (art. 12 CEDH), invoqué en raison de l’impossibilité de fonder une famille suite à la possibilité pour la femme enceinte de pouvoir avorter, la Cour rappelle qu’une ingérence justifiée au regard de l’article 8, §2, de la Convention ne peut en même temps constituer une violation de l’article 12 de la Convention.77x Ibid., p. 7.

      Commentaires

      Vers une reconnaissance des droits de la femme?

      31. La question de la grossesse et de son interruption met en avant la problématique de l’existence ou non de droits spécifiques à la femme au sein de la Convention, bien que celle-ci prône, sauf circonstances exceptionnelles, l’égalité entre les hommes et les femmes.78x J-P. MARGUÉNAUD, « Quand la Cour de Strasbourg joue le rôle d’une Cour européenne des droits de la Femme: la question de l’avortement », RTD civ., n° 2, 2003, p. 371.
      32. L’arrêt Boso c. Italie déclare, à la suite des arrêts X c. Royaume-Uni et H. c. Norvège, que le droit positif du père à se reproduire (art. 8 CEDH) est subordonné au droit de la mère à ne pas devoir procréer (art. 8 CEDH), vu que la poursuite de la grossesse a, en premier lieu, des conséquences pour cette dernière et pour sa santé.79x Voir: J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 374. Une ingérence dans le droit du père potentiel est dès lors justifiée au regard de la protection des droits d’autrui (art. 8, § 2 CEDH). Comme le note Brems, la situation contraire, dans laquelle un homme souhaite que sa femme interrompe sa grossesse alors que celle-ci désire la poursuivre, est relativement fréquente. Il est toutefois inenvisageable qu’une telle action soit portée devant les cours et tribunaux dès lors que cela reviendrait à imposer à une femme d’avorter contre sa volonté.80x E. BREMS, « Annotatie – EHRM, 07-03-2006, 6339/05 », EHRC, n° 47, 2006. À juste titre, dans les conflits de droits procréatifs, les droits de la femme l’emportent bien souvent sur ceux de l’homme81x Contra: C.E.D.H. (GC) 10 avril 2007, Evans c. Royaume-Uni, req. n° 6339/05. La situation dans cette affaire est cependant différente, car il ne s’agit pas d’avorter mais de recourir à une procréation médicalement assistée., la venue d’un enfant ayant a priori un impact plus important pour cette dernière, tant sur le plan physique qu’émotionnel ou social. Les soins du nouveau-né reviennent, dans la majorité des cas, d’abord à la mère.

      … ou d’un droit à l’avortement?

      33. Il est intéressant de noter que la Cour se réfère au droit de la femme enceinte et au droit du père potentiel, mais ne mentionne ni n’examine l’intérêt général sur la question de l’avortement.82x J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 375. En ce qui concerne l’embryon, elle envisage que celui-ci puisse être protégé par l’article 2 de la Convention, mais préfère ne pas trancher la question de savoir si l’enfant à naître est effectivement titulaire des droits qui découlent de cet article. La Cour estime uniquement que la loi italienne ménage un juste équilibre entre les droits de la femme et la nécessité de protéger le fœtus, sans dépasser la marge d’appréciation dont l’État jouit « dans ce domaine si délicat ».83x C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 5 septembre 2002, Boso c. Italie, req. n° 50490/99, pp. 5-6.
      34. Selon Marguénaud, l’arrêt Boso c. Italie s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Commission et de la Cour, en particulier en ce qui concerne le statut de l’embryon, mais apporte quelques nuances et un éclairage féministe sur la question de l’accès à l’avortement.84x J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 372. En effet, après que la Commission ait reconnu, dans sa décision X c. Royaume-Uni (cf. supra n° 9), que le droit à la vie de la femme enceinte peut justifier un avortement, la Cour déclare dans l’affaire Boso c. Italie que tant la santé physique que psychique de la femme, comprise très largement au point d’englober les convenances personnelles85x La loi italienne autorise l’avortement dans de nombreux cas, à savoir: « dans les douze premières semaines, lorsque la poursuite de la grossesse, l’accouchement ou bien la maternité pourraient mettre en danger la santé physique ou psychique de la femme compte tenu de l’état de santé de l’intéressée, des conditions économiques, sociales ou familiales, des circonstances dans lesquelles la conception a eu lieu, de la prévision d’anomalies ou de malformations du fœtus; au-delà des premiers quatre-vingt-dix jours, lorsque la grossesse ou l’accouchement entraînent un danger grave pour la vie de la femme et lorsque d’importantes pathologies ou malformations de l’enfant à naître représentent un danger grave pour la santé physique ou psychique de la femme. » (art. 5 de la loi n° 194 de 1978), permet de justifier un avortement.86x J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 374. Pour cet auteur, la Cour reconnait ainsi un droit à l’avortement.87x Ibid. Nous ne pouvons partager cet avis: selon nous, il ne s’agit pas d’une reconnaissance d’un droit à l’avortement pour la femme enceinte mais de la primauté du droit de la femme enceinte sur celui du père potentiel qui ne peut faire prévaloir ses droits dans le cadre de l’interruption de grossesse. La Cour reconnait par ailleurs que même si le fœtus peut bénéficier de certains droits, ceux-ci ne pourraient primer dans tous les cas ceux de la femme enceinte.

      Tysiaç c. Pologne

      Les faits et l’arrêt de la Cour

      35. Lors de sa troisième grossesse, la requérante souhaitait avorter car cette grossesse présentait des risques importants pour sa vue. Elle consulta un ophtalmologue qui indiqua « qu’il existait un risque, mais pas de certitude, que la rétine se décolle à cause de la grossesse ». Elle se rendit chez son médecin généraliste qui lui remit un certificat permettant d’avorter. En Pologne, la loi autorisait l’avortement dans le cas où la santé de la mère est en danger. La requérante consulta ensuite un gynécologue qui décida, sans avoir toutefois procédé à une véritable consultation, que l’avortement n’était pas indiqué. Il fit contresigner sa décision par un endocrinologue. Après la naissance de l’enfant, la vue de la requérante se détériora considérablement et elle fut déclarée atteinte d’une « invalidité importante », alors qu’avant la grossesse elle avait une « invalidité moyennement grave ». Elle porta plainte contre le gynécologue mais l’affaire fut classée sans suite sous prétexte qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la dégradation de sa vue et le refus de pratiquer un avortement.88x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, §§ 9-23. Devant la Cour européenne, la requérante se plaignait notamment d’une violation des articles 3, 8, et 14 juncto 8 de la Convention. La Cour estima qu’il y avait lieu d’approfondir uniquement l’analyse de la violation du droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH).
      36. L’article 8 de la Convention s’applique à l’affaire en question vu que les interruptions de grossesse font parties du domaine de la vie privée et que la vie privée de la femme enceinte « devient étroitement associée au fœtus qui se développe ».89x Ibid., §§ 105-106. L’État a une obligation positive d’assurer le respect effectif de l’intégrité physique des futures mères.90x Ibid., §§ 197-108. Cela peut impliquer « tant la création d’un cadre réglementaire instaurant un mécanisme judiciaire et exécutoire destiné à protéger les droits des individus que la mise en œuvre (…) de mesures spécifiques ».91x Ibid., § 110. La Convention vise à garantir le respect de droits concrets et effectifs et, même si elle ne contient aucune exigence procédurale explicite, il est nécessaire que « le processus décisionnel soit équitable et permette de respecter comme il se doit les intérêts qui y sont protégés ». La Cour doit donc se pencher sur la question de savoir si, in casu, « l’individu a joué dans le processus décisionnel (…) un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts ».92x Ibid., § 113. Ce cadre procédural et légal doit, d’une part, permettre de résoudre les problèmes en cas de désaccord entre la femme enceinte et les médecins ou entre les médecins eux-mêmes, et, d’autre part, ne doit pas, dans la réalité, limiter la possibilité d’obtenir une interruption de grossesse si cette possibilité est prévue par la loi.93x Ibid., § 116. Une procédure a posteriori ne peut remplir cette fonction; l’absence de procédure préventive de la part de l’État constitue un manquement à ses obligations positives de protéger « l’intégrité physique des personnes se trouvant dans une situation aussi vulnérable que la requérante ».94x Ibid., §§ 118, 127-128. La Cour conclut ainsi à une violation de l’article 8 de la Convention.95x Ibid., § 130.

      Commentaires

      Vers un droit à l’avortement?

      37. Selon Priaulx, cet arrêt pourrait laisser croire que la Cour a trouvé un stratagème pour reconnaitre indirectement un droit à l’avortement96x N. PRIAULX, « Testing the Margin of Appreciation: Therapeutic Abortion, Reproductive Rights and the Intringuing Case of Tysiaç v. Poland », European Journal of Health Law, vol. 15, n° 4, 2008, p. 368. Voir aussi: P. HENNION-JACQUET, 2007, p. 2650, qui estime que la Cour commence ainsi à voir dans l’article 8 de la Convention un droit subjectif à l’interruption volontaire de grossesse. Contra: B. MATHIEU, « L’avortement et la Convention EDH: la politique des petits pas de la Cour de Strasbourg », JCP G, n° 17, II, 10071, 27 avril 2007, p. 39, pour qui il est logique, vu la jurisprudence de la Cour dans les affaires Evans c. Royaume-Uni et Vo c. France concernant la fixation du commencement du droit à la vie, que les États puissent légiférer librement en matière d’avortement; C. RENAUT, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », JDI, n° 3, chron. 5, juillet 2008, p. 808, qui affirme que la majorité des juges a précisément pris des précautions pour ne pas s’engager dans le débat de l’existence d’un droit abstrait à l’avortement garanti par la Convention; D. ROMAN, « L’avortement devant la Cour européenne. À propos de l’arrêt CEDH, 20 mars 2007, Tysiac c/ Pologne », Revue de droit sanitaire et social, n° 4, 20 mars 2007, p. 646., et ce malgré l’opinion concordante du juge Bonello qui affirme que « [e]n l’espèce, la Cour n’était ni saisie d’un droit abstrait à l’avortement ni d’un quelconque droit fondamental à l’avortement qui serait tapi quelque part dans la pénombre des marges de la Convention. »97x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion concordante du juge BONELLO. Il ajoute également que « [l]a décision prise dans la présente cause concerne un pays qui a déjà rendu l’avortement médical légal dans certains cas précis. La Cour était seulement appelée à statuer sur une question: existait-il, en cas de divergence d’opinion (entre une femme enceinte et les médecins ou entre les médecins eux-mêmes) quant à savoir si les conditions nécessaires pour obtenir un avortement légal étaient ou non réunies, un mécanisme effectif permettant de trancher ce point? ».. La Cour devait en réalité trancher s’il existe, « en cas de divergence d’opinion (entre une femme enceinte et les médecins ou entre les médecins eux-mêmes) quant à savoir si les conditions nécessaires pour obtenir un avortement légal étaient ou non réunies, un mécanisme effectif permettant de trancher ce point »98x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion concordante du juge Bonello. et non « si la Convention garantit un droit à l’avortement ».99x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, § 103. La Cour constate que comme l’avortement est déjà autorisé dans certaines conditions, elle n’a plus besoin de rechercher si la Convention garantit un tel droit à l’avortement.100x Ibid., § 104; N. PRIAULX, 2008, p. 368. Contra: S. PATTINSON, Medical law and ethics (5ème éd.), London, Thomson Reuters, 2016, p. 255. Elle conclut toutefois à une violation de l’article 8 car l’État ne met pas de procédure en place permettant de régler les désaccords entre une patiente et son médecin lorsqu’il s’agit d’établir si la patiente se trouve dans l’un des cas pour lesquels la loi autorise l’avortement. Or, huit médecins au total ont conclu qu’il n’était pas nécessaire pour la requérante d’avorter pour protéger sa santé et que la dégradation de sa vue ne présentait pas de lien causal avec la grossesse (une partie de ces médecins ont certes jugé a posteriori). Dans ces conditions, peut-on réellement affirmer que la requérante aurait pu bénéficier d’une procédure plus efficace pour juger de la nécessité d’avorter? Priaulx approuve la position du juge Borrego Borrego qui souligne à cet égard que la Cour a donné trop d’importance aux craintes (non fondées) de la requérante.101x N. PRIAULX, 2008, p. 369. Dans ce sens: P. HENNION-JACQUET, 2007, p. 2651. Cornides tire une conclusion assez radicale de l’arrêt et se demande si la Cour ne crée pas indirectement un droit à l’avortement, vu qu’elle préfère qu’il y ait une procédure qui laisse prévaloir l’avis d’un médecin sur celui de huit autres ainsi que les craintes et les peurs de la femme enceinte sur la vie de l’enfant à naître.102x J. CORNIDES, « Human Rights Pitted Against Man », International Journal of Human Rights, vol. 12, n° 1, 2008, p. 127. Ce n’est pourtant pas exactement ce que la Cour prétend. Elle ne fait qu’affirmer que l’État doit protéger l’intégrité physique de la requérante au moyen d’une procédure adéquate pour régler un différend d’opinions durant la grossesse.103x N. PRIAULX, 2008, p. 373.
      38. Par ailleurs, comme le souligne Larralde, bien que la Cour n’ait pas procédé à une étude comparative des législations en Europe, elle se réfère à certains standards internationaux, tels que le cinquième rapport périodique de la Pologne au Comité des droits de l’homme de l’ONU104x Com. D. H., UN Human Rights Committee: Fifth periodic report: Poland, 26 janvier 2004, CCPR/C/POL/2004/5. et les observations de ce Comité105x Com. D. H., UN Human Rights Committee: Observations: Poland, 28 octobre 2004, CCPR/C/SR.2251. qui avait alors rappelé son souhait de voir la législation polonaise progresser en matière d’avortement, notamment pour éviter les avortements clandestins et pour assurer le respect effectif de la législation lorsque l’avortement est autorisé. Cette référence aux conclusions du Comité pourrait s’interpréter comme une incitation implicite pour la Pologne à adopter une législation plus libérale en matière d’avortement.106x J-M. LARRALDE, 2007, pp. 871-872.
      39. Enfin, selon une autre opinion, bien que l’arrêt semble s’inscrire dans la continuité de la jurisprudence antérieure, il présente à première vue une « relative régression » par rapport à quelques standards jurisprudentiels établis auparavant.107x Ibid., p. 855. En effet, la Cour adopte une approche prudente et évite d’aborder la question du droit à l’avortement au sein de la Convention, tout comme dans l’arrêt Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande.108x Ibid., pp. 862-863. Cette approche prudente peut se justifier, selon Larralde, à la vue du contexte socio-politique ultraconservateur en Pologne au moment des faits, qui justifie notamment que l’avortement soit illégal (et exceptionnellement autorisé) car la vie de l’enfant conçu est protégée par le Code pénal.109x J-M. LARRALDE, 2007, pp. 864-865.

      … ou seulement un droit procédural?

      40. Un autre point de vue est de voir dans cet arrêt une première reconnaissance au niveau international du droit à bénéficier d’une procédure effective et en temps voulu pour mettre en œuvre des droits relatifs à l’avortement reconnus par la loi nationale.110x J-P. MARGUÉNAUD, « La Cour de Strasbourg, Cour européenne des droits de la Femme: la question de l’accès à l’avortement thérapeutique », RTD civ., n° 4, 2007, p. 294; C. NGWENA, « Commentary on L. C. v. Peru: The CEDAW Committee’s First Decision on Abortion », Journal of African Law, vol .57, n° 2, 2013, p. 321; D. ROMAN, 2007, pp. 648-649. Une procédure a posteriori ne peut suffire pour protéger les droits de la femme enceinte.111x J-P. MARGUÉNAUD, 2007, p. 294; D. ROMAN, 2007, p. 649. En plus d’avoir droit à une procédure juste, la femme qui se voit refuser un avortement a le droit de connaître les motifs du refus et doit avoir la possibilité de faire appel de cette décision.112x C. NGWENA, 2013, p. 321. Ainsi, au lieu de se focaliser sur un équilibre à trouver entre la vie privée de la femme enceinte et l’intérêt public, la Cour estime que la protection de l’intégrité physique de la femme relève des obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.113x J-M. LARRALDE, 2007, pp. 866-868; J-P. MARGUÉNAUD, 2007, p. 294; F. SUDRE, « Droit de la Convention européenne des droits de l’homme », J.C.P., n° 36, 5 septembre 2007, p. 30. Cette intégrité physique doit être protégée contre l’arbitraire des médecins laissés libres face à leur clause de conscience. La Cour peut dès lors conclure à une violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’absence de procédure adéquate et d’un organe indépendant susceptible de trancher un désaccord entre la femme enceinte et les médecins.114x J-P. MARGUÉNAUD, 2007, p. 294. Nous nous interrogeons toutefois sur la cohérence de ce raisonnement: si l’État polonais n’avait nullement autorisé l’avortement, il n’aurait pas manqué à la mise en œuvre des droits garantis; aurait-il dès lors été condamné pour une violation de l’article 8 de la Convention?115x Dans ce sens: B. MATHIEU, 2007, p. 40.

      L’influence de la situation de la requérante et de la situation nationale

      41. Dans son opinion dissidente, le juge Borrego Borrego estime que la Cour « va trop loin » et n’adopte pas une jurisprudence constante (il se base à cet effet sur l’arrêt D. c. Irlande116x C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 27 juin 2006, D. c. Irlande, req. n° 26499/02. Dans cette affaire, la requérante, mère de deux enfants, est enceinte de jumeaux, dont un décédé à la huitième semaine de grossesse et l’autre atteint du syndrome d’Edwards. Elle a dû se rendre en Angleterre afin de pouvoir avorter.). Il critique tout d’abord le fait que la Cour prenne trop en compte la situation de la requérante qui est « perturbée » et en « détresse », avec comme conséquence que les craintes de celle-ci sont considérées comme « suffisantes » et rationnelles, tandis que dans l’affaire D. c. Irlande, la Cour déclare que « it is undoubtedly the case that the applicant was deeply distressed by, inter alia, the diagnosis and its consequences. However, such distress cannot, of itself, exempt an applicant from the obligation to exhaust domestic remedies »117x C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 27 juin 2006, D. c. Irlande, req. n° 26499/02, § 101.. 118x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion dissidente du juge BORREGO BORREGO. Dans ce sens, Hennion-Jacquet va plus loin et estime que la Cour reconnait un nouveau motif, inexistant en droit polonais, pour justifier l’interruption volontaire de grossesse, à savoir la situation de détresse dans laquelle se trouvait la requérante.119x P. HENNION-JACQUET, 2007, p. 2651. Ensuite, pour le juge Borrego Borrego, la Cour néglige d’autres intérêts en jeu, tels que « le débat qui a lieu en Pologne au sujet de l’avortement » et les « valeurs et mœurs propres à un pays », alors que dans l’affaire D. c. Irlande le débat en Irlande sur la question de l’avortement est « sensitive, heated and often polarised »120x C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 27 juin 2006, D. c. Irlande, req. n° 26499/02, § 97.. Ensuite, contrairement à l’affaire D. c. Irlande dans laquelle la Cour reconnait que la jurisprudence peut développer des droits constitutionnels, en particulier « when the central issue is a novel one, requiring a complex and sensitive balancing of equal rights to life and demanding a delicte analysis of country-specific values and morals. Moreover, it is precisely the interplay between the equal right to life of the mother and the ‘’unborn’’ »121x Ibid., § 90., la Cour fait ici fi de l’équilibre entre le droit à la vie de la mère et du fœtus pour s’en référer uniquement à l’exigence d’un « juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble »122x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, § 110.. Enfin, ce même juge estime que la position de la Cour « discrédite les médecins polonais ».123x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion dissidente du juge BORREGO BORREGO. Dans ce sens: P. HENNION-JACQUET,, 2007, p. 2650. La Cour n’aurait selon lui pas dû conclure à une violation de l’article 8 de la Convention; il estime qu’en agissant ainsi, elle déclare implicitement qu’ « il existe un enfant polonais, âgé actuellement de six ans dont le droit de naître va à l’encontre de la Convention ».124x C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion dissidente du juge BORREGO BORREGO. Dans ce sens: B. MATHIEU, 2007, p. 40, qui estime que la Cour fait prévaloir le principe de liberté sur celui de dignité, ou, vu plus globalement, de droit subjectif sur celui de liberté objective. Contra: J-P. MARGUÉNAUD, 2007, pp. 294-295. Selon Marguénaud, la conclusion tirée par le juge Borrego Borrego est incorrecte: la Cour ne prétend à aucun moment que le jugement des médecins était incorrect et que l’avortement demandé par la requérante était médicalement justifé; ce qu’elle avance, c’est que la procédure en cas de désaccord était inadéquate.

      Absence de clarté sur l’arrêt de la Cour

      42. Nous estimons que cet arrêt fait preuve de peu de clarté. Il ne mentionne en effet aucune jurisprudence antérieure sur laquelle il se base, d’où de nombreuses interprétations possibles.125x N. PRIAULX, 2008, p. 373. C’est dès lors à raison qu’il convient de s’interroger sur les conclusions à tirer de cet arrêt, lu en combinaison avec l’affaire A, B et C c. Irlande (cf. infra n° 43 et s.), et de se demander si un régime interdisant complètement l’avortement de iure – et non pas quasiment de facto comme dans l’affaire analysée ici – passerait le test de conventionnalité ou si la Cour estimerait qu’une balance juste et équitable des différents intérêts en jeu imposerait qu’une interdiction absolue de l’avortement ne puisse plus être autorisée.126x Dans ce sens: Ibid., p. 376.

      A, B et C. c. Irlande

      Les faits et l’arrêt de la Cour

      43. Dans l’affaire A, B, C. c. Irlande127x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05. (2010), l’article 40.3.3. de la Constitution irlandaise fut remis en cause. Cet article prévoyait128x L’article 40.3.3. de la Constitution irlandaise fut pour la dernière fois modifié par le 36ème amendement, approuvé par un référendum du 25 mai 2018, qui déclare que l’assemblée législative est désormais compétente pour légiférer sur la question de l’avortement. Cet amendement est en vigueur depuis le 18 septembre 2018. L’avortement est désormais autorisé jusqu’à la douzième semaine de grossesse que l’avortement ne devait être autorisé que lorsque la vie de la mère était exposée à un risque réel et substantiel. Cet article autorisait toutefois les femmes à se rendre à l’étranger pour avorter ainsi qu’à recevoir en Irlande des informations relatives à cette possibilité.129x G. WILLEMS et L. COHEN, « Regards croisés de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies sur le droit à l’avortement – obs. sous Com. dr. h., const. Mellet c. Irlande, 31 mars 2016 », Rev. trim. dr. h., n° 111, 2017, p. 567.
      44. Dans l’affaire portée devant la Cour européenne, les deux premières requérantes se plaignaient de l’interdiction de l’avortement pour motifs de santé ou de bien-être et la troisième requérante de l’absence de mise en œuvre effective du droit à l’avortement lorsque la grossesse représentait un risque pour la vie de la mère.130x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, § 3. La première requérante était enceinte pour la cinquième fois, luttait contre la dépression et l’alcoolisme, avait perdu la garde de ses enfants et ne voulait pas poursuivre sa grossesse.131x Ibid., § 14. La deuxième requérante était tombée enceinte malgré le fait d’avoir pris la pilule du lendemain, courait un risque de grossesse extra-utérine et ne se voyait pas s’occuper seule d’un enfant.132x Ibid., § 19. La troisième requérante était en phase de traitement et de guérison d’un cancer lorsqu’elle tomba enceinte sans le savoir; les traitements et examens subis présentaient un risque pour le fœtus et la grossesse pouvait potentiellement s’avérer dangereuse pour elle-même.133x Ibid., §§ 23-24. Afin de pouvoir bénéficier d’un avortement, les trois requérantes durent se rendre en Angleterre. Devant la Cour, les deux premières requérantes se plaignaient d’une violation des articles 3, 8, 13 et 14 de la Convention; la troisième requérante invoquait également l’article 2 de la Convention.134x Ibid., § 113.
      45. La Cour rejette une violation des articles 2 et 3 de la Convention aux motifs que rien n’empêchait les requérantes de se rendre à l’étranger pour avorter et que les faits allégués n’atteignent pas un seuil de gravité suffisant pour que l’article 3 trouve à s’appliquer en l’espèce.135x Ibid., §§ 158 et 164. Les griefs portés sous l’angle de l’article 14 lu en combinaison avec l’article 8 ainsi que de l’article 13 ne sont pas analysés.136x Ibid., §§ 269-274. En ce qui concerne l’article 14 junco article 8, la Cour estime que ses conclusions relatives à l’article 8 sont suffisantes; concernant l’article 13, la Cour déclare que « l’article 13 ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois – à plus forte raison les dispositions de la Constitution – d’un État contractant comme contraires à la Convention ».
      46. La Cour approfondit son analyse de la requête sous l’angle du droit au respect de la vie privée des requérantes (art. 8 CEDH). En effet, les affaires relatives à l’avortement touchent au domaine de la vie privée de la femme enceinte vu que pour la Cour, la notion de « vie privée » est une notion large, qui englobe notamment le droit à l’autonomie et au développement personnel, droit qui comprend entre autres le « droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent »137x Ibid., § 212. Voir: C.E.D.H. (GC) 10 avril 2007, Evans c. Royaume-Uni, req. n° 6339/05, § 71.. Pour la Cour, l’article 8 de la Convention ne consacre pas un droit à l’avortement mais trouve à s’appliquer en l’espèce.138x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, §§ 212-214. Pour déterminer si l’ingérence de l’État dans la vie privée des deux premières requérantes est justifiée, la Cour analyse la requête sous l’angle des obligations négatives de l’État et effectue le triple test.139x Ibid., § 216. En ce qui concerne la troisième requérante, la Cour examine la requête sous l’angle des obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.140x Ibid., §§ 253-268.

      Les deux premières requérantes

      47. Tout d’abord, la Cour admet que l’ingérence dans la vie privée des requérantes est « prévue par la loi », à savoir par l’article 40.3.3 de la Constitution irlandaise, ce qui n’était pas discuté par les parties.141x Ibid., §§ 219-221.
      48. Ensuite, la Cour se penche sur la question de savoir si l’ingérence poursuit un des buts légitimes prévus par le texte de la Convention. La Cour estime que c’est le cas, à savoir la protection de la morale, qui s’incarne ici à travers la défense du droit à la vie de l’enfant à naître, droit cher au peuple irlandais.142x Ibid., §§ 226-228. La Cour ne s’engage pas dans le débat de savoir si l’enfant à naître doit être considéré comme « autrui » au sens de l’article 8, § 2, de la Convention, vu qu’elle invoque la « protection de la morale » comme étant le but légitime poursuivi.
      49. Enfin, la Cour doit répondre à la question de savoir si l’ingérence est « nécessaire dans une société démocratique », c’est-à-dire si elle répond à un « besoin social impérieux » et est « proportionnée au but légitime poursuivi ».143x Ibid., § 229. En l’espèce, il s’agit d’analyser si un juste équilibre est atteint entre le droit au respect de la vie privée des requérantes (art. 8, § 1, CEDH) et les valeurs morales profondes du peuple irlandais en ce qui concerne la valeur de la vie, à savoir la nécessité de protéger la vie de l’enfant à naître.144x Ibid., § 230. Afin de déterminer si ce juste équilibre a été atteint, la Cour se réfère à la doctrine de la marge d’appréciation accordée à l’État. Pour déterminer l’ampleur de cette marge d’appréciation, la Cour tient compte en l’espèce de trois facteurs: un « aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu », l’existence ou non d’un consensus européen, le fait que les autorités de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge européen pour juger du « contenu précis des exigences de la morale » et de « la nécessité d’une restriction destinée à y répondre ».145x Ibid., § 232. Toutefois, après avoir énoncé ces facteurs, la Cour n’en développe que certains pour justifier l’ampleur de la marge d’appréciation. Malgré le fait qu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité se trouve en jeu et devrait donc réduire la marge d’appréciation de l’État, la Cour détermine que celle-ci devrait être large vu la sensibilité extrême des questions morales et éthiques qui concernent l’avortement, ainsi que l’importance qui doit être donnée à l’intérêt général.146x Ibid., §§ 232-233. Enfin, en ce qui concerne l’existence d’un consensus européen, la Cour observe que « dans une majorité substantielle des États membres du Conseil de l’Europe une tendance en faveur de l’autorisation de l’avortement pour des motifs plus larges que ceux prévus par le droit irlandais » se dégage, ce qui devrait a priori réduire l’ampleur de la marge d’appréciation.147x Ibid., § 235. Toutefois, la Cour n’arrête pas son raisonnement à ces facteurs. Elle rappelle qu’à son estime, la question du point de départ du droit à la vie, ainsi que la décision de qualifier de « personne » ou non l’enfant à naître, relève de la marge d’appréciation des États (affaire Vo c. France). Vu que les États bénéficient d’une faculté d’appréciation à cet égard, ils doivent également jouir d’une marge d’appréciation pour déterminer l’équilibre entre la protection accordée à l’enfant à naître et les droits de la femme enceinte. L’existence d’un consensus européen ne peut dès lors pas suffire en l’espèce pour imposer à l’Irlande d’autoriser l’avortement pour des raisons de bien-être ou de santé de la future mère.148x Ibid., § 237. Cette marge d’appréciation n’est toutefois pas illimitée et la solution proposée par l’État doit faire preuve d’une mise en balance proportionnée des intérêts en jeu.149x Ibid., § 238. In casu, la Cour juge qu’un juste équilibre a été atteint dans la mesure où les femmes peuvent se rendre à l’étranger pour avorter pour des raisons de bien-être ou de santé sans enfreindre la loi irlandaise.150x Ibid., §§ 239, 341.

      La troisième requérante

      50. La situation de la troisième requérante était différente, car elle se trouvait en principe dans les conditions prévues par la loi pour bénéficier d’un avortement légal en Irlande, à savoir que la poursuite de sa grossesse représentait un risque réel et sérieux pour sa vie. La loi irlandaise ne précisait toutefois pas comment cette disposition devait être interprétée et mise en œuvre. Par ailleurs, il n’y avait aucun cadre prévu pour régler une incertitude ou un différend entre une femme enceinte et son médecin concernant l’application de l’exception à l’interdiction d’avortement.151x Ibid., § 253. La Cour note également que si l’avortement avait été pratiqué à tort, tant la femme que le médecin auraient été sujets à une condamnation pénale sévère, ce qui est de nature à dissuader fortement le recours à l’avortement en Irlande en cas de doutes.152x Ibid., §§ 254-255. La Cour estime ainsi que « par l’absence de procédures effectives et accessibles qui eussent permis à la troisième requérante de faire établir l’existence, dans son cas, d’un droit à un avortement au titre de cette disposition, [la situation] a donné lieu à une discordance flagrante entre le droit théorique reconnu aux femmes d’avorter en Irlande en cas de risque avéré pour leur vie et la réalité de la mise en œuvre concrète de ce droit »153x Ibid., § 264.. La Cour conclut à une violation de l’obligation positive du respect effectif de la vie privée (art. 8 CEDH) dans le chef de la troisième requérante, en raison de l’absence de dispositions législatives ou réglementaires prévoyant une procédure effective pour déterminer si une femme enceinte peut ou non avorter légalement en Irlande.154x Ibid., §§ 267-268.

      Commentaires

      51. Cet arrêt de la Cour fut particulièrement controversé, comme en témoigne le nombre d’opinions séparées, à savoir deux opinions concordantes, deux opinions partiellement concordantes, deux opinions partiellement dissidentes et une opinion dissidente.155x X., « Embryo donation: in vitro fertilisation – scientific research », European Human Rights Law Review, n° 6, 2015, p. 659.

      Sur l’ampleur de la marge d’appréciation

      52. Une première critique formulée à l’encontre de l’arrêt de la Grande chambre concerne les facteurs qui influencent la marge d’appréciation, et plus particulièrement le poids donné au fait que l’affaire en question concerne un « aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu ». Selon la Cour, lorsqu’un tel enjeu est présent, la marge d’appréciation doit être, d’une façon générale, restreinte. Or, in casu, la Cour évoque ce facteur comme devant influencer l’ampleur de la marge d’appréciation mais, dans son appréciation finale, n’y fait plus référence. Elle se contente de juger que les règles du droit irlandais ménagent in abstracto un juste équilibre entre les intérêts opposés et que, dès lors, l’État irlandais n’excède pas la marge d’appréciation qui lui est accordée.156x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion concordante des juges GUERRA et CASADEVALL. En procédant de la sorte, le degré de gravité des risques liés à la santé ou au bien-être des requérantes n’est pas pris en considération alors que ce degré de gravité aurait dû être crucial pour trancher l’affaire in concreto. La Cour ne se réfère pas aux circonstances particulières de la cause et s’abstient ainsi de prendre en compte le degré de gravité de l’atteinte au droit à l’autonomie personnelle et à l’intégrité physique et morale. En agissant ainsi, la Cour exclut la possibilité que ce degré de gravité puisse être pris en considération et influencer d’autres décisions futures en matière de prohibition de l’avortement, et ainsi permette de justifier que l’État excède sa marge d’appréciation dans certains cas.157x Ibid.
      53. Une seconde critique porte sur l’appréciation du consensus européen qui, selon la Cour, doit réduire l’ampleur de la marge d’appréciation accordée à l’État. Dans l’affaire en question, la Cour identifie un consensus important entre les États membres qui autorisent l’avortement pour des motifs assez larges. La Cour décide toutefois de faire primer la sensibilité sociale afin d’éliminer la valeur du consensus européen qui devrait, selon Birden, aider à interpréter la Convention et à en déduire un droit à l’avortement.158x E. BIRDEN, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (année 2010) », JDI, n° 4, chron. 12, octobre 2011, pp. 43-44. À nos yeux, ce raisonnement est critiquable.159x Voir: G. GONZALEZ, « Le contrôle de la marge nationale d’appréciation », in SUDRE, F., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme (9ème éd.), Paris, PUF, 2019, p. 91; D. ROMAN, « L’avortement devant la Cour EDH: l’Europe contre les femmes et au mépris de son histoire », Revue de droit sanitaire et social, n° 2, 2011, p. 299. En effet, la Cour aurait certes dû davantage tenir compte de ce consensus, mais celui-ci ne peut pas créer des nouveaux droits communs à tous les États: il ne revient pas à la Cour, en invoquant ce consensus, de prendre la place du législateur européen. Ce consensus ne doit par ailleurs pas sortir de son rôle de guide dans l’interprétation de la Convention et doit être apprécié avec prudence, en gardant à l’esprit qu’il est normal qu’il y ait des spécificités et des sensibilités nationales. Le but de la Cour européenne n’est pas de les réduire à néant, mais uniquement de vérifier que ces particularités nationales n’enfreignent pas les droits protégés par la Convention.
      54. En outre, selon la juge Finlay Geoghegan, le consensus identifié par la Cour n’est pas le bon. La Cour doit identifier un consensus qui porte sur la question juridique posée par l’affaire en cause. In casu, il s’agit de trouver un équilibre entre les intérêts concurrents en présence, à savoir, d’une part, le respect de la vie privée des requérantes, garanti par l’article 8 de la Convention, et, d’autre part la protection accordée au droit à la vie de l’enfant à naître, au nom de l’intérêt général et des valeurs morales du peuple irlandais tels que protégés par le droit national. Toutefois, une législation en vigueur ne révèle pas forcément la façon dont l’État assure l’équilibre de ces intérêts, ni s’il existe dans les autres pays un « intérêt général au sein de la population » à protéger la vie prénatale. Si une telle volonté de protéger la vie de l’enfant à naître n’existe pas au sein d’un État, alors cet État peut difficilement ménager un équilibre entre des intérêts concurrents, comme l’Irlande doit le faire. La Cour n’a en tout cas pas identifié la présence d’un intérêt général comparable dans les autres États. Le consensus identifié par la Cour dans cette affaire n’est donc pas pertinent dès lors qu’il ne porte pas sur la question juridique soumise à la Cour et ne doit donc pas restreindre la marge d’appréciation accordée à l’État.160x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion concordante de la juge GEOGHEGAN.
      55. D’autres juges dissidents estiment, quant à eux, que le consensus européen a correctement été identifié par la Cour: la grande majorité des États européens accordent plus d’importance à la vie de la femme enceinte ainsi qu’à sa santé et son bien-être qu’à la vie du fœtus, et ce, peu importe quand débute la vie humaine. Or, en l’espèce, la Cour laisse de côté ce consensus européen et fait prévaloir les convictions morales du peuple irlandais au sujet de la vie humaine, ce qui n’est pas justifié selon eux.161x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion en partie dissidente des juges ROZAKIS, TULKENS, FURA, HIRVELÄ, MALINVERNI et POALELUNGI. Dans ce sens: D. ROMAN, 2011, p. 299.

      Le tourisme abortif

      56. La Cour estime en outre que la possibilité de se rendre à l’étranger est une alternative suffisante pour justifier l’interdit de l’avortement en Irlande et ainsi déclarer qu’il y a eu une mise en balance proportionnée des intérêts concurrents en jeu, sans excéder la marge d’appréciation accordée aux États. Roman conclut que, pour la Cour, les droits sont respectés dès lors que la libre circulation des personnes et des informations est assurée, ce qui est bien évidemment critiquable.162x D. ROMAN, p. 301. Comme l’affirme cette auteure, dont nous ne pouvons que partager l’avis, « [j]uger qu’une atteinte aux droits fondamentaux est admissible dès lors qu’il est possible d’émigrer en Europe vers des terres plus respectueuses du respect de la vie privée est une curieuse conception du projet européen… »163x Ibid., p. 302.. En outre, renvoyer vers l’étranger n’est pas une solution évidente pour les femmes avec un faible revenu et ne fait que renforcer le nombre d’avortements illégaux.164x S. MCGUINNESS, « A, B and C leads to D (for delegation!). Commentary A, B and C v. Ireland 25579/05 (2010) ECHR 2032 », Medical law review, n° 19, été 2011, pp. 490-491.,165x Comp.: Com. E.D.S. 10 septembre 2013, IPPF-EN c. Italie, récl. n° 87/2012, § 65, qui réfère à la Résolution (Conseil de l’Europe) n° 1607 (2008) de l’Assemblée parlementaire du 16 avril 2008 relative à l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe, art. 4. Pour ces raisons-là, combinées à une mauvaise analyse de la marge d’appréciation, les juges dissidents concluent que l’examen de la proportionnalité n’a pas correctement eu lieu.166x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion en partie dissidente des juges ROZAKIS, TULKENS, FURA, HIRVELÄ, MALINVERNI et POALELUNGI. Dans ce sens: P. LONDONO, « Redrafting abortion rights under the Convention: A, B and C v. Ireland », in BREMS, E., Diversity and European human rights: rewriting judgments of the ECHR, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, pp. 112-113; G. WILLEMS et L. COHEN, 2017, p. 570.

      Sur l’absence d’analyse du principe de non-discrimination

      57. Par ailleurs, selon Willems et Cohen, la décision de la Cour de ne pas analyser la plainte sous l’angle de l’article 14 lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention est également critiquable, en particulier vu que la Cour conclut à une non-violation de l’article 8. Une lecture de l’article 8 sous l’angle de l’interdiction de discrimination aurait pu mener à d’autres résultats.167x Ibid., p. 571. En effet, le non-accès à l’avortement peut avoir de lourdes conséquences sur la place des femmes dans la société.168x P. LONDONO, 2012, pp. 113-114, 118-120. En éliminant toute discussion sur l’applicabilité de l’article 14, la Cour évite ainsi de se prononcer sur les questions de genre liées au domaine des droits reproductifs.169x G. WILLEMS et L. COHEN, 2017, pp. 571-572.

      Une approche antiféministe?

      58. Aux yeux de Roman, cet arrêt de la Cour annonce la fin des espoirs placés dans les institutions européennes pour faire progresser les revendications féministes, et en particulier le droit des femmes à disposer de leur corps.170x D. ROMAN, 2011, pp. 293 et 297. Par le refus de reconnaitre dans l’article 8 de la Convention un droit à l’avortement, « la Cour peut donner le sentiment de capituler devant une morale réactionnaire très minoritaire en Europe »171x Ibid., p. 294.. Ainsi, la Cour refuse aux femmes la maîtrise de leurs facultés procréatives et de leur projet de planning familial.172x Ibid., p. 295. Alors que l’égalité des sexes est l’un des principes sous-jacents à la Convention et qu’elle a été promue à plusieurs reprises par la Cour, cet arrêt semble y apporter quelques limites.173x Ibid., p. 296. Cette approche nous semble être trop critique envers la Cour. Même si le droit à l’avortement est une revendication féministe par excellence, le rôle de la Cour ne consiste pas qu’à garantir le droit des femmes. Elle doit en effet tenir compte des divers droits et intérêts en jeu. La question de l’avortement est plus large que la problématique du droit des femmes à disposer de leur corps. En effet, d’autres intérêts et droits, tels que le droit à la vie de l’enfant à naître (art. 2 CEDH) s’il est reconnu, le droit au respect de la vie privée et familiale du père potentiel (art. 8 CEDH) même si subordonné à celui de la femme enceinte, le respect des valeurs morales et sociales de la société, le respect du principe d’égalité et non-discrimination, sont aussi concernés par la problématique.

      Une position sur le statut juridique de l’embryon?

      59. La position de la Cour semble avoir légèrement changé par rapport à la question du statut de l’embryon, tel qu’envisagée dans l’arrêt Vo c. France: jusqu’à l’arrêt A, B et C c. Irlande, la Cour avait strictement refusé de prendre position sur le statut juridique de l’embryon et sur les droits dont ce dernier peut bénéficier, laissant le soin aux États de régler ces questions.174x Ibid., p. 295. Or, dans cet arrêt, la Cour affirme que les droits de la femme doivent être mis en balance face aux autres droits et libertés, dont ceux de l’enfant à naître.175x Voir: C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, § 213. Cette position est immédiatement nuancée par la Cour qui indique qu’il n’est pas nécessaire de rechercher si le terme « autrui » mentionné dans les limitations prévues au droit au respect de la vie privée (art. 8, § 2, CEDH) englobe ou non l’enfant à naitre.176x Voir: Ibid., § 228. Selon nous, il n’est pas possible de conclure de ces termes que la Cour a modifié sa position sur la question du statut de l’embryon.

      Refus de reconnaitre un droit à l’avortement

      60. Après avoir longuement évité de trancher la question, la Cour a pris position et a déclaré explicitement pour la première fois que l’article 8 de la Convention ne consacre pas un véritable droit à l’avortement.177x Ibid., § 214. Voir aussi: E. BIRDEN, 2011, p. 43; D. ROMAN, 2011, pp. 294 et 297. L’interdiction d’interrompre la grossesse pour des raisons de santé ou de bien-être de la femme enceinte n’entraine ainsi pas la violation de son droit au respect de la vie privée, pour autant qu’elle ne soit pas dans l’impossibilité absolue d’interrompre sa grossesse. En ce sens, la Cour estime que la possibilité de se rendre à l’étranger pour avorter est suffisante.
      61. Selon nous, il est surprenant que la Cour autorise, voire même approuve, le tourisme abortif. La Cour juge en conformité avec le droit au respect de la vie privée l’équilibre trouvé par l’Irlande, dans lequel les convictions morales du peuple irlandais sur la valeur de la vie prénatale prédominent sur les motifs de santé ou de bien-être personnel des femmes enceintes. Il nous semble justifié que la Cour ne se soit pas appuyée sur le consensus européen, correctement identifié ou pas, pour déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation dès lors que cela aurait eu pour résultat de devoir reconnaitre implicitement un droit à l’avortement sur le fondement de l’article 8 de la Convention. Comme déjà mentionné (cf. supra 53), reconnaître un droit à l’avortement au sens de l’article 8 de la Convention par le biais de l’existence d’un consensus européen ne nous semble pas être la méthode adéquate. Si un tel droit doit être reconnu, cela doit se faire au moyen d’une décision législative. Afin de ne pas devoir reconnaître implicitement un tel droit, la Cour préfère se retrancher derrière la large marge d’appréciation de l’État et le caractère proportionné de la mesure, vu que l’impossibilité de recourir à une interruption de grossesse n’était pas absolue. La prudence de la Cour en la matière est à approuver, même s’il reste souhaitable qu’elle adopte une position claire par rapport à la question de l’équilibre entre les droits du fœtus et ceux de la femme enceinte.
      62. La décision par rapport à la troisième requérante confirme l’idée d’un droit procédural et cet arrêt s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, à savoir l’arrêt Tysiaç c. Pologne. La Cour rappelle l’obligation positive pour les États d’assurer une procédure effective pour mettre en œuvre les droits garantis au niveau national.178x Voir: E. BIRDEN, 2011, p. 44; J-M. LARRALDE, « La reconnaissance des avortements thérapeutiques s’impose aux Etats », L’Essentiel de la famille et des personnes, n° 2, 15 février 2011, p. 2; M. LEVINET, « Valeurs morales et restrictions à l’avortement », JCP G, n° 3, 17 janvier 2011, p. 58. Comme le note Roman, la condamnation de l’Irlande a un côté paradoxal dès lors que l’Irlande est condamnée « à propos du seul progrès significatif que cet État a pu faire sur le droit à l’avortement ».179x D. ROMAN, 2011, p. 297. Malgré ce côté paradoxal, la décision de la Cour nous semble s’inscrire dans sa logique de laisser une large marge d’appréciation aux États pour légiférer tout en les forçant à mettre en œuvre de façon effective les droits qu’ils choisissent de garantir.
      63. La position adoptée par la Cour peut en outre surprendre au regard de la Résolution 1607 adoptée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2008 (cf. supra n° 5).180x Dans ce sens: P. LONDONO, 2012, p. 99. La Résolution préconise de garantir un accès légal et sûr à l’avortement, ce que la Cour n’incite nullement.

      R.R. c. Pologne

      Les faits et l’arrêt de la Cour

      64. Dans l’affaire R.R. c. Pologne (2011), la requérante souhaitait recourir à un avortement car l’enfant qu’elle portait était atteint d’une malformation grave, au départ non identifiée, qui s’avéra plus tard être le syndrome de Turner.181x C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, §§ 13, 16. Malgré ses visites dans plusieurs hôpitaux, la requérante ne put trouver un médecin acceptant de faire des examens complémentaires afin de pouvoir interrompre sa grossesse si les examens confirmaient la malformation génétique. Suite au refus de plusieurs médecins, elle ne put avorter, le délai prescrit par la loi étant écoulé (à savoir le moment où le fœtus peut survivre hors du corps de la mère), malgré qu’elle eût rempli les conditions légales pour demander une interruption de grossesse.182x Ibid., §§ 18-33. Finalement, elle mit au monde une petite fille atteinte du syndrome de Turner. Elle porta plainte devant la Cour contre l’État parce que les médecins avaient refusé de la prendre correctement en charge à temps et de lui donner une chance d’avorter dans le délai légal.183x Ibid., §§ 38, 43. La requérante alléguait une violation des articles 3 et 8 de la Convention. Selon elle, son droit au respect de la vie privée n’avait pas été garanti dans la mesure où, d’une part, elle était restée dans l’incertitude de savoir si le fœtus présentait une anomalie génétique, d’autre part, il n’y avait pas de cadre légal complet permettant de garantir l’effectivité de ses droits.184x Ibid., §§ 90-91.
      65. En ce qui concerne l’interdit de traitement inhumain ou dégradant (art. 3 CEDH), la Cour estime que les traitements subis par la requérante ont engendré chez celle-ci une souffrance qui atteint le seuil minimum de gravité pour tomber dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention, ce qui implique par conséquent une violation de ce dernier.185x Ibid., §§ 160-162.
      66. En ce qui concerne l’article 8 de la Convention, les parties s’accordent sur son applicabilité. En effet, « le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent » relève de la vie privée.186x Ibid., § 180. En se référant à d’autres affaires (cf. Brüggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, Boso c. Italie, Vo c. France, Tysiaç c. Pologe et A, B, et C c. Irlande), la Cour rappelle que la vie privée de la femme enceinte est étroitement liée à celle du fœtus qu’elle porte. Dans cette perspective, un équilibre doit être trouvé entre les intérêts du fœtus et ceux de la femme, en particulier lorsque ceux-ci sont antagonistes.187x Ibid., § 181. Comme l’État jouit d’une large marge d’appréciation pour déterminer le début de la vie humaine, il bénéficie par conséquent aussi de ce degré de liberté pour trouver un équilibre entre les droits de l’enfant à naître et ceux de la femme enceinte donc, en somme, en ce qui concerne les conditions d’accès à l’avortement.188x Ibid., §§ 186-187. Toutefois, une fois que l’État a décidé des conditions dans lesquelles l’avortement est autorisé, le « processus de décision [doit être] équitable et [doit permettre] de respecter comme il se doit les intérêts qui y sont protégés ».189x Ibid., § 191. La Cour estime aussi que le droit d’accès aux informations de santé relève de la sphère de la vie privée et que « l’état de santé du fœtus au cours de la grossesse constitue un élément de la santé de la femme enceinte ». L’accès en temps utile à ces informations est particulièrement important dans les cas où l’évolution rapide de la situation peut réduire la capacité à pouvoir prendre une décision adéquate.190x Ibid., § 197. La Cour rappelle également sa jurisprudence antérieure dans l’affaire Tysiaç c. Pologne, à savoir « qu’une fois que l’État a fait usage de la marge d’appréciation (…) pour adopter une législation autorisant l’avortement, il ne doit pas concevoir le cadre juridique correspondant d’une manière qui limite dans la réalité la possibilité d’obtenir une telle intervention. En particulier, l’État a l’obligation positive d’instaurer un cadre procédural permettant aux femmes enceintes d’exercer leur droit d’accès à un avortement légal ».191x Ibid., § 200. Dans l’affaire en question, les procédures en place étaient inefficaces dans la mesure où la requérante n’avait pu avoir un examen génétique approfondi dans un délai de quatre semaines. Les médecins soulevaient leur « clause de conscience »192x La clause de conscience est « [i]nvocable (notamment) par les personnels médicaux, [et] elle autorise ceux-ci à ne pas pratiquer d’actes qui pourraient être de nature à heurter leurs convictions morales, éthiques, ou surtout religieuses ». J-M. LARRALDE, « Le Comité européen des droits sociaux face aux dysfonctionnements des interruptions de grossesse », Rev. trim. dr. h., n° 102, 2015, p. 407. dès lors que ces examens pouvaient potentiellement mener à une interruption de grossesse. Or, la Cour estime que des examens génétiques peuvent avoir d’autres issues que l’interruption de grossesse et que l’État doit organiser un système de santé où l’usage de « l’exercice collectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé » n’empêche pas le recours effectif aux services nécessaires pour les patients.193x C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, §§ 203-205. La Cour conclut que « l’incertitude créée par le défaut de mise en œuvre juridique (…) et en particulier l’absence de procédures effectives et accessibles visant à la reconnaissance d’un droit à l’avortement (…) a conduit à une discordance frappante entre le droit à l’avortement théoriquement reconnu en Pologne dans les cas énumérés (…) et la réalité de son application concrète. »194x Ibid., § 210. La Cour décide qu’il y a ainsi eu une violation de l’article 8 de la Convention.

      Commentaires

      Sur l’existence d’un traitement dégradant

      67. Une première opinion dissidente porte sur l’application de l’article 3 de la Convention. Aux yeux du juge Bratza, le seuil de gravité nécessaire pour qu’il soit question d’un traitement dégradant au sens de la Convention n’est pas atteint.195x C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, opinion partiellement dissidente du juge BRATZA. La Cour prend en quelque sorte pitié de la requérante et la considère comme « très vulnérable » et « profondément troublée », se trouvant dans une « incertitude pénible » avec une « angoisse extrême » et traitée « de façon aussi odieuse » par les médecins.196x C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, §§ 159-160; A. HENDRIKS, « Noot – EHRM 26-05-2011 », EHRC, n° 109, 2009, § 6. Cette approche plutôt audacieuse de la Cour lui permet de conclure pour la première fois, dans le cadre des droits reproductifs, à un traitement dégradant (art. 3 CEDH) en raison de la vulnérabilité de la requérante, bien qu’elle eut déjà reconnu dans les affaires Tysiaç c. Pologne et A, B et C c. Irlande que le refus de laisser une femme avorter pouvait potentiellement engendrer une violation de l’article 3 de la Convention.197x L. BURGORGUE-LARSEN, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme », Actualité juridique: droit administratif, n° 35, 2011, pp. 1993-2004; E. IRELAND, « Do Not Abort the Mission: An Analysis of the European Court of Human Rights Case of R.R. v. Poland », North Caroline Journal of International Law and Commercial Regulation, vol. 38, n° 2, 2013, pp. 685 et 690; J-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement: entre avancées prudentes et conservatisme assumé », Rev. trim. dr. h., n° 91, 2012, p. 614; A. TIMMER, « R.R. v. Poland: of reproductive health, abortion and degrating treatment », Strasbourgobservers, 31 mai 2011, disponible sur: https://strasbourgobservers.com/2011/05/31/r-r-v-poland-of-reproductive-health-abortion-and-degrading-treatment/, consulté le 29 octobre 2019. Voir aussi: A. ZUREICK, « (En)Gendering Suffering: Denial of Abortion as a Form of Cruel, Inhuman, or Degrading Treatment », Fordham International Law Journal, vol. 38, n° 1, janvier 2015, p. 117. Sudre estime d’ailleurs, à juste titre, que cet arrêt marque une extension significative du champ d’application de la notion de « traitement dégradant ».198x F. SUDRE, « L’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants – Mauvais traitements », in SUDRE, F., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme (9ème éd.), Paris, PUF, 2019, pp. 174-175. Lorsque le système de l’accès aux soins de santé n’est pas effectivement mis en œuvre, l’État peut violer son obligation positive découlant de l’article 3 de la Convention.199x A. TIMMER, 2011. Toutefois, une absence de mise en œuvre effective ne conduira pas systématiquement à une violation de l’article en question. La situation individuelle de la requérante et les rapports avec les médecins jouent clairement un rôle dans l’appréciation de la Cour, comme le fait que la requérante avait le droit d’être testée, la procrastination des médecins, l’humiliation qu’elle a dû subir de leur part, l’angoisse de ne pas savoir prendre une décision éclairée concernant la poursuite de sa grossesse, etc.200x I. GALLMEISTER, « La législation polonaise relative à l’avortement à l’épreuve de la CEDH », Dalloz actualité, 27 juin 2011; A. HENDRIKS, 2009, § 6; A. ZUREICK, 2015, p. 119. La Cour attire ainsi l’attention sur le fait que ce processus peut être dégradant pour une femme enceinte: cette dernière consacre beaucoup d’énergie à essayer d’obtenir un avortement et subit les humiliations des médecins pour, à la fin, devoir s’occuper d’un enfant handicapé non souhaité. Elle insiste ainsi sur l’importance de l’autonomie personnelle de la femme enceinte.201x A. HENDRIKS, 2009, § 7. Nous ne pouvons qu’approuver cette position de la Cour qui désormais reconnait la vulnérabilité des femmes enceintes et les fait bénéficier d’un degré de protection supplémentaire.202x J-M. LARRALDE, 2012, pp. 614-615.

      Violation du droit procédural?

      68. Pour le juge Gaetano, il y a bien eu une violation de l’article 3 de la Convention mais pas de l’article 8 de la Convention. Il estime que la Cour ne s’est pas attardée sur la bonne question et a préféré s’étendre sur la doctrine de la marge d’appréciation concernant le début de la vie humaine, l’équilibre à trouver entre les intérêts du fœtus et ceux de la femme enceinte et la légitimité de l’avortement. Or, selon lui, ce n’était pas la question. La Cour devait plutôt analyser la manière dont la requérante avait été traitée et son recours effectif aux informations sur sa santé et celle du fœtus.203x C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, opinion partiellement dissidente du juge GAETANO. Cette remarque du juge est surprenante dès lors que le recours effectif aux informations peut être interprété comme faisant partie du champ des obligations positives qui découlent de l’article 8 de la Convention. Dans ce sens, Larralde affirme que les États ont une obligation positive de prendre des mesures adéquates et effectives pour assurer la protection de l’intégrité physique et psychologique des individus. Ainsi, in casu, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention car l’État n’avait pas assuré le fonctionnement correct des autorités sanitaires qui aurait dû permettre d’avoir un test génétique adéquat à temps.204x J-M. LARRALDE, 2012, pp. 613-614. D’ailleurs, comme le remarque Hendriks, la Cour accorde dans cette affaire une place importante à l’autonomie personnelle de la femme enceinte en lui reconnaissant notamment, au nom du droit au respect de la vie privée, le droit d’avoir accès aux informations médicales sur sa santé et sur celle du fœtus, et plus particulièrement un accès en temps et en heure.205x A. HENDRIKS, 2009, §§ 1 et 11. Cette information est capitale pour permettre à la femme de décider de recourir ou non à une interruption de grossesse.206x J-M. LARRALDE, 2012, p. 618. Nous ne pouvons dès lors qu’approuver la position de la Cour qui conclut à une violation de l’article 8 de la Convention.
      69. En ce sens, l’affaire se rapproche de la conclusion que la Cour a tirée dans les affaires Tysiaç c. Pologne et A, B et C c. Irlande en ce qui concerne la troisième requérante, où elle s’est également retenue d’analyser le contenu de la législation mais s’est uniquement penchée la mise en œuvre de celle-ci.207x Dans ce sens, voir: J-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement: entre avancées prudentes et conservatisme assumé », Rev. trim. dr. h., n° 91, 2012, pp. 616-617; F. SUDRE, « Droit de la Convention européenne des droits de l’homme », J.C.P., n° 35, 29 août 2011, p. 1510. Elle se distingue toutefois de cette jurisprudence dès lors que la santé de la requérante n’était pas en danger. Elle souhaitait une interruption de grossesse parce que le fœtus était atteint d’une anomalie génétique et non pas parce qu’elle ne voulait pas devenir mère. La Cour ne se penche toutefois pas sur la question de la légitimité de l’avortement mais se réfère à la législation nationale à cet égard. La question que la Cour doit analyser concerne l’effectivité de la législation, qui doit permettre d’avoir un accès aux informations médicales à temps, ce qui constitue d’ailleurs un droit fondamental du patient afin de lui permettre de prendre les mesures et décisions nécessaires en temps voulu. Nous ne pouvons dès lors rien conclure sur la position de la Cour par rapport au bien-fondé des avortements sélectifs.

      Absence de reconnaissance d’un droit à l’avortement

      70. Cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence antérieure de la Cour en confirmant le refus de reconnaitre aux femmes un droit à l’avortement. La Cour se permet toutefois de souligner qu’il y a un contexte hostile à l’égard de l’avortement qui règne en Pologne208x C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, § 192. et qu’il y a un écart qui existe entre le droit théorique à un avortement légal et la mise en œuvre pratique de ce droit209x Ibid., § 210..210x J-M. LARRALDE, 2012, pp. 619-620. À nouveau, la Cour évite de se prononcer sur la légitimité de l’avortement et sa compatibilité avec la Convention: elle se borne à analyser la question de l’accès à l’avortement lorsque celui-ci est autorisé par la législation nationale.211x Voir: Ibid., p. 622. Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour semble également se confirmer en ce qui concerne le droit à la vie du fœtus: celui-ci n’est que relatif et est supplanté par la possibilité qui est offerte à la femme enceinte d’avorter lorsque sa propre santé est en danger ou lorsque le fœtus souffre d’une pathologie grave, au nom du droit au respect de la vie privée de la femme enceinte (art. 8 CEDH).212x Ibid., p. 621. Ce qui est étonnant, c’est que la Cour associe l’interruption de grossesse en raison d’une pathologie grave présente chez le fœtus au respect de la vie privée de la femme enceinte…

      Sur la liberté de conscience

      71. Par ailleurs, la réponse de la Cour quant à la liberté de conscience des praticiens est intéressante. Lavrysen conclut que, pour la Cour, la clause de conscience ne peut être invoquée de façon à désavantager le patient: ce dernier doit avoir un moyen d’accéder au traitement autorisé.213x L. LAVRYSEN, « R.R. v. Poland: health rights under Art. 8 ECHR », Strasbourgobservers, 2 juin 2011, disponible sur: https://strasbourgobservers.com/2011/06/02/r-r-v-poland-health-rights-under-art-8-echr/https://strasbourgobservers.com/2011/06/02/r-r-v-poland-health-rights-under-art-8-echr/#more-1046https://strasbourgobservers.com/2011/06/02/r-r-v-poland-health-rights-under-art-8-echr/#more-1046, consulté le 29 octobre 2019. L’État doit s’assurer que son système permette un recours effectif aux traitements, ce qui n’est pas le cas si tous les praticiens invoquent leur clause de conscience. Les convictions morales et religieuses des soignants ne peuvent primer sur les intérêts du patient, celui-ci devant occuper une place centrale dans le système de soins.214x A. HENDRIKS, 2009, § 13. Voir aussi: J-M. LARRALDE, 2012, pp. 620-621. En ce sens, l’arrêt manque de clarté: dans quelle mesure l’État peut-il contraindre les médecins à pratiquer des avortements, et ce contre leurs convictions personnelles ou religieuses, garanties par le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9 CEDH)?

      P. et S. c. Pologne

      Les faits et l’arrêt de la Cour

      72. La première requérante avait été violée à l’âge de quinze ans et ce viol avait donné lieu à une grossesse. En accord avec sa mère – la seconde requérante -, la jeune fille souhaitait interrompre sa grossesse compte tenu notamment de sa volonté de poursuivre son éducation et des circonstances dans lesquelles elle était tombée enceinte.215x C.E.D.H. 30 octobre 2012, P. et S. c. Pologne, req. n° 57375/08, §§ 6-9. Aux yeux de la loi polonaise, elle remplissait les conditions pour se faire avorter. Dans un premier temps, les requérantes se rendirent dans un hôpital à Lublin. Face au refus de celui-ci de pratiquer un avortement, elles se rendirent à Varsovie. Leur expérience peut être considérée comme à chaque fois terrible: contacts obligatoires avec des prêtres catholiques et des psychologues voulant convaincre la mère de garder l’enfant, tiers hostiles à l’avortement venant l’importuner, médiatisation de l’affaire, pression sur l’hôpital afin que l’avortement ne soit pas pratiqué, etc. L’affaire arriva en justice et le juge décida que la première requérante était influencée par sa mère et sa famille pour demander cette interruption de grossesse, alors qu’elle-même ne souhaitait pas véritablement avorter. En fin de compte, elle put avorter clandestinement à Gdansk, avec l’aide du ministre de la santé, sans toutefois être enregistrée comme patiente et pouvoir bénéficier des soins post-avortement.216x Ibid., §§ 11-41. Devant la Cour européenne, les requérantes se plaignirent entre autres d’une violation de l’article 8 de la Convention par rapport à l’accès à un avortement légal et d’une violation de l’article 3 de la Convention pour traitement inhumain et dégradant.
      73. La Cour constate tout d’abord que la majorité des États membres ont une législation autorisant l’avortement. Il faut toutefois déterminer si une telle législation a pu trouver un juste équilibre entre les différents intérêts.217x Ibid., § 97. Elle rappelle aussi que le but de la Convention n’est pas de garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits qui sont pratiques et effectifs. Ici, tout comme dans les affaires Tysiaç c. Pologne et R.R. c. Pologne, il pèse sur l’État une obligation positive de mettre en place un système qui permette aux femmes enceintes d’accéder effectivement aux avortements prévus par la loi. Ce système à mettre en place doit permettre de tenir compte des intérêts de la femme enceinte et, dans ce contexte, « the relevant procedure should guarantee to a pregnant woman at least the possibility to be heard in person and to have her views considered. »218x Ibid., § 99. En Pologne, la loi autorise l’avortement sous certaines conditions, notamment en cas de viol, mais elle ne prévoit ni un cadre procédural pour apprécier au cas par cas l’opportunité d’avorter, ni une méthode pour résoudre un conflit entre un médecin et un patient.219x Ibid., § 100. In casu, tous les médecins s’en référèrent à leur clause de conscience pour ne pas devoir pratiquer l’avortement demandé par la requérante. La Cour rappelle sa jurisprudence de R.R. c. Pologne: les États ont l’obligation d’organiser leur système de soins de santé de sorte que l’exercice de la liberté de conscience des médecins n’entrave pas le droit des patients à avoir accès aux services auxquels ils ont droit. Les médecins ont dès lors le droit d’invoquer leurs convictions personnelles pour refuser un service, mais ils doivent le faire par écrit et renvoyer le patient vers un autre médecin qui acceptera de réaliser ce même service.220x Ibid., §§ 106-107. Vu la discordance entre les droits théoriques et la pratique concernant l’avortement à laquelle la première requérante fut confrontée, la Cour conclut à la violation par l’État de son obligation positive résultant du droit au respect de la vie privée des requérantes.221x Ibid., §§ 111-112.
      74. Enfin, tout comme dans l’affaire R.R. c. Pologne, la Cour estime par ailleurs qu’il y a eu une violation de l’article 3 de la Convention. En effet, la première requérante a été traitée par les autorités d’une façon déplorable qui atteint le niveau minimum de sévérité requis pour être qualifié de « traitement dégradant ». Pour en arriver à cette conclusion, la Cour note par exemple que la requérante était dans « a situation of great vulnerability », que le médecin « tried to impose her own views on the applicant », qu’il y a eu une « considerable pressure (…) put on her and on her mother”, qu’elle a été « harassed », etc.222x Ibid., §§ 162-169.

      Commentaires

      Violation du droit au respect de la vie privée?

      75. La seule opinion dissidente est formulée par le juge Gaetano. Il renvoie à son opinion formulée dans l’affaire R.R. c. Pologne dans laquelle il critique également la décision de la Cour qui conclut à une violation de l’article 8 de la Convention. Pour lui, il ne peut s’agir d’une violation du droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH) vu que la Convention ne garantit pas un droit à l’avortement. Il s’agit plutôt, selon lui, d’une violation du droit à un procès équitable (art. 6 CEDH) dans la mesure où la question concerne la mise en œuvre d’un « droit » garanti par les lois nationales.223x C.E.D.H. 30 octobre 2012, P. et S. c. Pologne, req. n° 57375/08, opinion partiellement dissidente du juge GAETANO.
      76. En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée, la Cour conclut non seulement à une violation de l’article 8 de la Convention dans le chef de la jeune fille mais également dans celui de sa mère. Selon Hendriks, il semble que la Cour attache une certaine importance à l’autodétermination dans un sens social, c’est-à-dire que sont importants non seulement les besoins et désirs individuels mais aussi les relations et l’interdépendance avec les autres. Cela signifie que lorsqu’une personne prend une décision, elle tient également compte des conséquences de celle-ci sur son entourage, sans que cela ne soit perçu comme un affaiblissement de son autodétermination. Cela ne fait que refléter l’importance des liens familiaux pour chaque vie individuelle.224x A. HENDRIKS, « Noot – EHRM 30-10-2012 », EHRC, n° 15, 2013, § 7. Dans ce sens, la décision d’avorter ou non pour une jeune fille de quinze ans a aussi des conséquences pour sa famille, ce qui justifie aux yeux de la Cour de conclure à une violation du droit au respect de la vie privée dans le chef de la mère.225x Ibid., § 7. Cet auteur estime que cet élargissement des droits individuels à la famille est cependant contestable. En effet, le risque existe que les droits du principal intéressé soient contraires à ceux qui en jouissent indirectement et qu’ils soient dès lors limités. À juste titre, il ajoute qu’adopter un regard purement individualiste sur les droits de l’homme présente aussi un danger, en particulier dans le domaine de la procréation dès lors qu’il y a précisément toujours un autre qui est concerné.226x A. HENDRIKS, 2013, § 7.
      77. Femwick tente de trouver une explication à la conclusion différente que la Cour a donnée dans les trois affaires contre la Pologne (Tysiaç c. Pologne, R.R. c. Pologne et P. et S. c. Pologne) et dans l’affaire A, B et C c. Irlande concernant la violation de l’article 8 de la Convention. Une première hypothèse serait que la Cour attache un certain respect aux constitutions des États. Comme la protection de la vie prénatale est ancrée dans la Constitution irlandaise, la Cour a préféré ne pas conclure à une violation de l’article 8 de la Convention sous le prétexte de l’importance de la protection de la vie prénatale pour le peuple irlandais. Il ne semble toutefois pas être possible de conclure à une doctrine formelle du respect de la Constitution par la Cour; cela irait précisément à l’encontre des principes de base de la Convention qui ne doit pas se limiter aux droits accordés par les constitutions nationales. Une autre explication avancée par cet auteur est que les conséquences pour les requérantes dans les trois affaires contre la Pologne étaient bien plus graves que dans le cas de A, B et C c. Irlande.227x D. FEMWICK, « ’Abortion jurisprudence’ at Strasbourg: deferential, avoidant and normatively neutral? », Legal Studies, vol. 34, n° 2, 2014, p. 223.
      78. La conclusion à tirer des affaires Tysiaç c. Pologne, R.R. c. Pologne et P. et S. c. Pologne semble dès lors évidente: sans garantir un droit à l’avortement par le biais de l’article 8 de la Convention, la Cour invite les États à mettre en place une procédure effective pour assurer la réalisation des droits relatifs à l’avortement que l’État concède déjà aux femmes. Ce qui est légal doit être accessible. En ce sens, la Pologne se différencie de l’Irlande qui, elle, n’autorisait pas légalement l’avortement dans la situation des requérantes (sauf dans le cas de la troisième requérante pour qui la Cour a également conclu à une violation de l’article 8 de la Convention dans son volet procédural). La question portée devant la Cour est dès lors complètement différente.228x En ce qui concerne l’aspect procédural des différentes affaires, voir: J. ERDMAN, « Procedural Turn in Transnational Abortion Law », American Society of International Law Proceedings, vol. 104, 2010, pp. 378-379. La Cour ne souhaite pas se prononcer sur l’existence d’un droit à l’avortement; toutefois, si celui-ci est reconnu par l’État, il doit être effectif. La reconnaissance d’un tel droit reste, du moins pour le moment, une liberté de l’État, pour autant que le recours à l’avortement ne soit pas absolument impossible.

      Sur la liberté de conscience des médecins

      79. Dans cette affaire, il est également intéressant de voir comment la Cour se positionne par rapport à la liberté de conscience des médecins. Tout comme dans l’arrêt R.R. c. Pologne, la Cour affirme qu’il est important que l’État organise son système de soins de santé d’une façon telle que cette liberté de conscience n’entrave pas la possibilité d’avoir accès aux traitements prévus par la loi. Il semblerait que le minimum que la Cour exige soit que les médecins qui invoquent leur liberté de conscience pour refuser un traitement renvoient leur patiente chez un médecin qui accepte de pratiquer l’avortement.229x J. WESTESON, « P. and S. v. Poland: adolescence, vulnerability, and reproductive autonomy », Strasbourgsobserver, 5 novembre 2012, disponible sur: https://strasbourgobservers.com/2012/11/05/p-and-s-v-poland-adolescence-vulnerability-and-reproductive-autonomy/, consulté le 5 novembre 2019.

      L’avortement comme limite au droit à la vie

      80. Par ailleurs, le European Centre for Law and Justice (ECLJ) a remis un avis dans cette affaire en tant que tiers, rappelant que la Convention ne détermine pas l’application temporelle du droit à la vie. La vie humaine est un long processus commençant à la conception et se terminant par la mort. Toutefois, les développements biotechnologiques font naître des situations qui ne correspondent plus au cours naturel de la vie. Selon l’avis de l’ECLJ, la Cour laisse alors le choix aux États, grâce à leur marge d’appréciation, de déterminer le moment à partir duquel le fœtus peut bénéficier de ce droit à la vie. Pour la Cour, le fœtus appartient à l’espèce humaine et mérite dès lors une protection appropriée. L’avortement constitue une exception ou une dérogation à ce droit à la vie et n’est pas un droit en tant que tel.230x C.E.D.H. 30 octobre 2012, P. et S. c. Pologne, req. n° 57375/08, §§ 67-68. Même si l’État autorise l’avortement, l’ECLJ estime que l’État doit s’assurer qu’un juste équilibre a été trouvé entre les différents intérêts en jeu, notamment en limitant les recours possibles aux interruptions de grossesse. L’État doit par ailleurs aider la femme enceinte à respecter la vie humaine et s’assurer que si elle choisit d’avorter, elle ne le fasse pas en raison de pressions extérieures.231x Ibid., § 69.

      Grimmark c. Suède et Steen c. Suède

      Les faits et l’arrêt de la Cour

      81. Les dernières décisions de recevabilité rendues par la Cour concernent les affaires Grimmark c. Suède232x C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17. (2020) et Steen c. Suède233x C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17. (2020). Les requérantes se plaignaient devant la Cour d’une violation de leur droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9 CEDH), de leur droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH) et du principe de non-discrimination (art. 14 CEDH). Les hôpitaux auprès desquels elles postulèrent leur avaient en effet refusé un poste de sage-femme lorsqu’elles annoncèrent leur souhait de ne pas réaliser d’avortement en raison de leurs convictions religieuses.
      82. La Cour rejette la requête des jeunes femmes et déclare que la décision de ne pas employer une sage-femme qui refuse dès le départ de pratiquer des avortements n’enfreint ni son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9 CEDH), ni son droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH), ni le principe de non-discrimination (art. 14 CEDH). La Cour estime qu’il y a bien une ingérence dans le droit à la liberté de religion des requérantes, mais que les mesures prises par l’État sont justifiées et proportionnées.234x C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17, § 25; C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17, § 20. En effet, l’ingérence est prévue par la loi: la loi suédoise prévoit que les employés doivent réaliser toutes les tâches faisant parties de leur fonction et ne prévoit pas l’existence d’une clause de conscience. Elle poursuit par ailleurs un but légitime, à savoir la protection de la santé des femmes qui souhaitent avorter.235x Ibid. En outre, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique et est proportionnée: il repose sur l’État une obligation positive d’organiser son système de soins de santé d’une façon qui permette d’assurer l’exercice effectif des droits et libertés prévus par la loi. L’exercice de la liberté de conscience dans le contexte professionnel ne peut entraver la bonne organisation des soins de santé.236x C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17, § 26; C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17, § 21. Par ailleurs, la Cour estime que l’impact de la mesure n’a pas des conséquences disproportionnées pour la carrière professionnelle des requérantes.237x C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17, §§ 26-27; C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17, §§ 21-22. La Cour refuse ainsi de faire suite à la requête des parties et de reconnaitre que leur refus de pratiquer des avortements puisse être fondé. La Cour fait dès lors primer l’accès à l’avortement sur le respect de la liberté de conscience personnelle.

      Commentaires

      83. Ces deux dernières décisions de la Cour sont intéressantes dans le sens où elles font primer l’accès à l’avortement sur la liberté de conscience des praticiens. Par ces décisions, la Cour confirme qu’un État ne doit pas forcément prévoir une clause de conscience qui permet de refuser de pratiquer des interruptions de grossesses. L’accès à l’avortement reçoit ainsi une priorité absolue sur les convictions individuelles des praticiens.
      84. Ces décisions nous semblent toutefois critiquables. Contrairement aux décisions Tysiaç c. Pologne, R.R. c. Pologne et P. et S. c. Pologne, les femmes qui souhaitent recourir à l’avortement en Suède ne sont pas confrontées à un refus en masse des médecins et il ne leur est pas impossible de recourir à l’avortement de façon générale. Dans sa décision, la Cour n’a en outre nullement tenu compte du fait que les deux sages-femmes étaient prêtes à endosser d’autres tâches de remplacement. En refusant de leur reconnaitre une liberté de conscience, la Cour rend l’accès à la profession de sage-femme impossible pour celles et ceux qui souhaitent l’exercer en conformité avec leurs convictions religieuses.238x Dans ce sens: G. PUPPINCK, « Avortement: trois juges de la CEDH sapent le droit à l’objection de conscience », Valeurs actuelles, 13 mars 2020, disponible sur: https://www.valeursactuelles.com/societe/avortement-trois-juges-de-la-cedh-sapent-le-droit-lobjection-de-conscience-117044, consulté le 23 mars 2020. En outre, comme le note Puppinck, il est étrange que ces décisions aient été prises par la plus petite composition de la Cour, à savoir trois juges, pour une affaire d’une si grande importance, d’autant qu’ils choisirent de déclarer la requête irrecevable, décision qui n’est pas susceptible d’appel, contrairement à un jugement classique.239x G. PUPPINCK, 2020. Cet auteur remarque aussi que deux des trois juges sont membres de mouvements pro-avortement ou féministes, ce qui remet leur partialité en cause.240x G. PUPPINCK, 2020. Cette décision de la Cour nous semble regrettable dans la mesure où elle permet aux États de mettre fin à la liberté de conscience, et plus précisément au respect des convictions personnelles et religieuses sur la nature de la vie humaine. Il reste à espérer qu’une nouvelle affaire soit soumise à la Cour de manière à ce que cette dernière puisse revenir sur cette jurisprudence selon nous malencontreuse.

    • Conclusion

      85. Au terme de cette étude, nous pouvons constater que l’article 8 de la Convention ne consacre pas un véritable droit à l’avortement. Cette affirmation mérite toutefois d’être nuancée: d’une part, la femme enceinte ne doit pas se trouver dans l’impossibilité absolue d’avorter. À cet égard, la Cour estime que l’État qui offre la possibilité de se rendre à l’étranger pour avorter n’enfreint pas la large marge d’appréciation dont il jouit pour trouver un équilibre entre les différents intérêts en jeu (A, B et C c. Irlande). D’autre part, lorsqu’un État choisit d’autoriser l’avortement dans certaines conditions, le cadre législatif doit être tel que l’interruption de grossesse doit, dans les faits, être rendue effectivement possible (Tysiaç c. Pologne, A, B et C. c. Irlande, R.R. c. Pologne, P. et S. c. Pologne).241x Voir aussi: T. VANSWEEVELT, « Abortus », in VANSWEEVELT, T. en DEWALLENS, F. (éds.), Handboek Gezondheidsrecht (Vol. II). Rechten van patiënten: van embryo tot lijk, Antwerpen, Intersentia, 2014, pp. 222-223.
      86. Cette analyse de la jurisprudence strasbourgeoise nous permet de conclure que la question de l’accès et du droit à l’avortement doit se poser en se positionnant par rapport à quatre intérêts en jeu: principalement par rapport à celui de la femme enceinte, mais celui-ci peut se retrouver limité par celui du père potentiel, celui du fœtus et celui de la société.
      87. Le respect de la vie privée de la femme enceinte est étroitement lié à la question de l’avortement, étant donné d’une part que la grossesse impacte directement son intégrité physique, d’autre part que la naissance d’un enfant la fait devenir mère, rôle qu’elle ne souhaite pas forcément endosser pour diverses raisons. En ce qui concerne l’intérêt de la femme enceinte, la Cour estime donc que celui-ci doit être protégé par la mise en œuvre effective des droits garantis au sein des législations nationales et qu’une impossibilité absolue de recourir à l’avortement doit être exclue. En outre, dans certaines circonstances, le refus d’accéder à un avortement autorisé légalement peut constituer un traitement inhumain ou dégradant (R.R. c. Pologne, P. et S. c. Pologne). En effet, des comportements misogynes, humiliants, mettant en danger la santé physique ou psychologique des femmes et portant atteinte à la dignité de celles-ci peuvent violer l’article 3 de la Convention.242x D. FEMWICK, 2014, pp. 231-233. La Cour a toutefois préféré ne pas envisager que l’accès difficile, voire impossible, à l’avortement puisse constituer une discrimination basée sur le genre.243x Voir: Ibid., p. 227. Ce refus de la Cour d’analyser ces affaires dans la perspective d’une discrimination à l’égard des femmes peut s’avérer décevante pour ceux qui souhaitent voir des régimes juridiques moins restrictifs sur l’avortement comme moyen d’émancipation des femmes.244x Ibid., p. 230. La question de la discrimination fondée sur le genre reste en outre assez délicate, car seules les femmes peuvent être victimes d’une telle législation, vu qu’elles sont par définition les seules à pouvoir demander un avortement. Pour justifier une discrimination basée sur le genre, il faut toutefois pouvoir démontrer une différence de traitement entre deux situations similaires; or les hommes peuvent difficilement se retrouver dans une telle situation, à savoir porter un enfant qu’ils ne souhaitent pas. Une solution possible serait de comparer la situation de ces femmes qui cherchent à avorter pour des raisons de santé avec celle des hommes qui cherchent à avoir accès à divers soins médicaux. Dans ce cas-là, la conclusion aurait été qu’il est en effet plus désavantageux d’être une femme que d’être un homme lorsqu’on cherche à accéder aux soins de santé, comme en Irlande ou en Pologne par exemple.245x Ibid., pp. 235-236. Ce ne fut cependant pas le raisonnement suivi par la Cour. En outre, la Cour s’est basée sur d’autres intérêts en jeu pour apporter des limites au droit au respect de la vie privée de la femme enceinte.
      88. Premièrement, le droit au respect de la vie privée et familiale du père potentiel peut être en contradiction avec celui de la femme enceinte, si celui-ci souhaite que cette dernière poursuive ou interrompe sa grossesse contre sa volonté. En effet, dans le premier cas il ne pourra devenir père, et dans le second il devra le devenir, du moins d’un point de vue biologique246x En droit belge, il deviendra également le père juridique si la femme ou l’enfant l’y contraint au moyen d’une action en recherche de paternité (voir art. 322 juncto 332quinquies ancien C.C.)., alors qu’il ne le veut pas. Au vu de la jurisprudence analysée, il semble évident pour la Cour que le droit au respect de la vie privée de la femme enceinte l’emporte sur celui du père potentiel. Le choix d’avorter revient à la femme et l’(ex-)époux ou (ex-)partenaire n’a pas à s’immiscer dans cette décision (X. c. Royaume-Uni, X. c. Autriche, Boso c. Italie).247x Dans ce sens, voir: E. GULDIX, « Het recht op voortplanting », in VANSWEELVELT, T. en DEWALLENS, F. (éds.), Handboek Gezondheidsrecht (Vol. II). Rechten van patiënten: van embryo tot lijk, Antwerpen, Intersentia, 2014, p. 14. Cette position prête à discussion, vu l’absence évidente d’appréciation in concreto des intérêts en jeu, même si cette position de la Commission et de la Cour semble a priori être justifiée, vu l’impact plus important d’une grossesse et d’une naissance pour la femme que pour l’homme. Il nous parait toutefois regrettable que la Cour n’envisage pas de pouvoir nuancer cette solution au regard des circonstances concrètes de l’espèce.
      89. Par ailleurs, l’enfant à naître a également un intérêt dans la question de l’avortement, sachant que l’interruption de grossesse le prive de facto d’un droit à la vie, dans le cas où l’embryon pourrait en bénéficier au sens de l’article 2 de la Convention, ce que la Cour refuse de trancher jusqu’à présent (Vo c. France). Tout au long des différents arrêts sur la question de l’avortement, la Cour évite de se prononcer sur la valeur de la vie prénatale, sur la question de savoir si celle-ci est protégée par la Convention, et sur l’équilibre à trouver entre la protection de cette vie et l’autonomie des femmes. Dans l’appréciation des divers intérêts en jeu, la Cour ne donne pas un poids important à l’intérêt de l’enfant à naître et elle accorde une grande liberté aux États pour choisir le niveau de protection dont bénéficie la vie de l’enfant à naître. La Cour elle-même ne semble pas accorder une protection au fœtus car elle ne s’est jamais opposée aux législations nationales autorisant l’avortement. Elle affirme même que la marge d’appréciation dont les États bénéficient pour protéger l’embryon n’est pas illimitée: en effet, la Cour a déclaré que la femme enceinte dont la santé ou la vie est en danger doit avoir la possibilité d’avorter légalement, quitte à ce que cela se fasse à l’étranger (A, B et C c. Irlande).248x D. FEMWICK, 2014, p. 229.
      90. Enfin, l’intérêt de la société permet de limiter les droits de la femme enceinte. La relation entre la moralité publique et l’intérêt de celle-ci manque cependant de clarté: tantôt la Cour accorde une grande importance aux valeurs morales de la société (A, B et C. c. Irlande), tantôt beaucoup moins (Tysiaç c. Pologne, R.R. c. Pologne, P. et S. c. Pologne). En ce qui concerne la question de la liberté de conscience des praticiens, la position de la Cour est assez claire: si les médecins ont la possibilité de s’en référer à leur clause de conscience, ceci ne doit pas avoir pour effet que la patiente ne puisse bénéficier des soins auxquels elle a droit. L’État doit en effet s’assurer que ses droits puissent être mis en œuvre (R.R. c. Pologne, P. et S. c. Pologne). La Cour semble aussi donner une priorité absolue à l’accès à l’avortement sur les convictions personnelles des praticiens (Grimmark c. Suède, Steen c. Suède).
      91. Nous pouvons conclure notre propos en mentionnant les paroles de la Cour: « on ne saurait douter (…) de l’extrême sensibilité des questions morales et éthiques soulevées par la question de l’avortement ni de l’importance de l’intérêt général en jeu »249x C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, § 233.. La question de l’avortement n’est pas simple à résoudre, les intérêts conflictuels des différents protagonistes étant nombreux. À l’heure actuelle, la Cour a choisi de s’engager dans une voie plutôt prudente, en n’affirmant pas que l’article 8 de la Convention garantit un droit à l’avortement; au mieux, il s’agit d’un droit procédural lorsque l’accès à l’avortement est légalement reconnu au sein d’un État.
      92. Et la Pologne? Le dernier arrêt de la Cour européenne datant de 2012, le mouvement de protestation en Pologne ne peut que soulever notre intérêt: si l’affaire arrive un jour devant la haute juridiction strasbourgeoise, quelle position adoptera-t-elle? Choisira-t-elle de se cantonner dans la marge d’appréciation des États ou prendra-t-elle une position plus osée pour affirmer que le droit au respect de la vie privée de la femme enceinte l’emporte sur le droit à la vie du fœtus malformé? La Cour se trouverait dans une situation inconfortable, vu qu’ici, il ne s’agit pas de la revendication d’un droit à l’avortement in abstracto mais dans le cas d’un enfant à naître atteint de malformations graves. Cela nous étonnerait que la Cour soit prête à prendre une position claire dans une telle affaire: elle se mettrait en effet dans la situation délicate de devoir juger de la valeur de la vie avec un handicap, chose qui nous semble improbable. La seule issue possible pour autoriser l’avortement pour les femmes polonaises serait d’affirmer haut et fort qu’il existe pour la femme enceinte un droit à avorter en toutes circonstances, sans devoir avancer des motifs particuliers. La Cour est-elle toutefois prête à s’engager sur cette voie? Nous en doutons fortement.

    Noten

    • 1 P. HENNION-JACQUET, « D’un avortement… l’autre? », D., n° 37, 2007, p. 2648.

    • 2 Trib. const. Polonais, 22 octobre 2020, affaire K 1/20, disponible sur: https://trybunal.gov.pl/postepowanie-i-orzeczenia/wokanda/art/11253-planowanie-rodziny-ochrona-plodu-ludzkiego-i-warunki-dopuszczalnosci-przerywania-ciazy?tx_ttnews%5Bday%5D=22&tx_ttnews%5Bmonth%5D=10&tx_ttnews%5Byear%5D=2020&cHash=ae29c588ed47d584b0404ccc6f22759; extraits en français: https://eclj.org/eugenics/eu/avortement-eugenique--le-jugement-du-tribunal-constitutionnel-polonais-extraits-.

    • 3 Voir: article 4a de la loi du 7 janvier 1993 sur l’avortement (Pologne).

    • 4 M. PRONCZUK, « Poland Court Ruling Effectively Bans Legal Abortions », The New York Times, 22 octobre 2020, disponible sur: https://www.nytimes.com/2020/10/22/world/europe/poland-tribunal-abortions.html?action=click&module=RelatedLinks&pgtype=Article; X., « Le droit à l’IVG pratiquement supprimé en Pologne - GAZETA WYBORCZA », Le courrier international, 23 octobre 2020, disponible sur: https://www.courrierinternational.com/une/regression-le-droit-livg-pratiquement-supprime-en-pologne; X., « En Pologne, quatre jours de manifestations contre la quasi-suppression du droit à l’avortement - GAZETA WYBORCZA », Le courrier international, 26 octobre 2020, disponible sur: https://www.courrierinternational.com/article/colere-en-pologne-quatre-jours-de-manifestations-contre-la-quasi-suppression-du-droit.

    • 5 Selon les affaires, la Cour utilise plutôt « enfant à naître », « embryon » ou « fœtus ». Dans cette contribution, nous utiliserons ces termes comme des synonymes, même si d’un point de vue strictement scientifique il existe une différence entre l’embryon et le fœtus.

    • 6 Notre recherche fut élaborée sur la base de recherches dans HUDOC et d’analyses doctrinales et jurisprudentielles.

    • 7 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, MB 19 août 1955. ci-après « CEDH ».

    • 8 Voir notamment C.E.D.H. (GC) 8 juillet 2004, Vo c. France, req. n° 53924/00. La question de la protection du fœtus et a fortiori de son droit à la vie n’est pas résolue au sein de la jurisprudence de la Cour. Ce débat ne fera pas l’objet de la présente contribution. Cf. infra: X. c. Norvège, X. c. Autriche, X. c. Royaume-Uni, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, Boso c. Italie

    • 9 Cf. infra: Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, X. c. Royaume-Uni, H. c. Norvège, Boso c. Italie, Tysiaç c. Pologne, A, B et C c. Irlande, R.R. c. Pologne et P. et S. c. Pologne.

    • 10 Voir: C.E.D.H. 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, req. n° 2346/02, § 61.

    • 11 Cf. infra: R.R. c. Pologne et P. et S. c. Pologne.

    • 12 Cf. infra: X. c. Royaume-Uni, X. c. Autriche, H. c. Norvège et Boso c. Italie.

    • 13 Voir: J-M. LARRALDE, « La Cour européenne et la promotion des droits de l’homme et la promotion des droits des femmes », Rev. trim. dr. h., n° 71, 2007, pp. 858-859.

    • 14 Cf. infra: Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, Grimmark c. Suède et Steen c. Suède.

    • 15 Cf. infra: Grimmark c. Suède et Steen c. Suède.

    • 16 Cf. infra: Tysiaç c. Pologne, A, B et C c. Irlande, Grimmark c. Suède et Steen c. Suède.

    • 17 Résolution (Conseil de l’Europe) n° 1607 (2008) de l’Assemblée parlementaire du 16 avril 2008 relative à l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe, http://assembly.coe.int.

    • 18 Proposition de résolution (Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe), L’avortement et ses conséquences pour les femmes et les jeunes filles en Europe, 24 janvier 2006, doc. 10802, http://assembly.coe.int

    • 19 Voir aussi: Résolution du Parlement européen du 3 juillet 2002 sur la santé et les droits sexuels et génésiques (2001/2128 (INI)), J.O., C.271, 12 novembre 2003, pp. 369-374: cette résolution dispose que l’avortement ne doit pas être considéré comme une mesure de planning familial (§ 8) et que les États doivent mettre en œuvre des politiques de prévention pour éviter les grossesses non désirées et les avortements peu sûrs (§ 10) et prévoir des alternatives à l’avortement (adoption par exemple) (§ 11). L’avortement légal et sûr doit toutefois être accessible, afin de protéger la santé sexuelle et génésique des femmes (§ 12). Enfin, les États doivent aussi s’abstenir de poursuivre en justice les femmes qui auraient avorté dans des conditions illégales (§ 13).

    • 20 Commission E.D.H. (décision recevabilité) 29 mai 1961, X. c. Norvège, req. n° 867/60, Rec., n° 6, 1961; Yearbook of the european convention on human rights – Annuaire de la convention européenne des droits de l’homme, 1961, pp. 271-272.

    • 21 Ibid., pp. 275-276.

    • 22 Commission E.D.H. (décision recevabilité) 10 décembre 1976, X. c. Autriche, req. n° 7045/76, DR, n° 7, pp. 89-90.

    • 23 Commission E.D.H. (décision recevabilité) 19 mai 1976, Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, req. n° 6959/75, DR, n° 5, p. 128 (nous soulignons).

    • 24 Ibid., p. 129.

    • 25 Voir: Commission E.D.H. (rapport) 12 juillet 1977, Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, req. n° 6959/75, DR, n° 10, §§ 50-66.

    • 26 Ibid., § 59.

    • 27 Ibid., § 60.

    • 28 Ibid., § 64.

    • 29 Commission E.D.H. (Comité des Ministres) 17 mars 1978, Bruggeman et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne, req. n° 6959/75.

    • 30 À retrouver sur le site de la Cour sous le nom de W.P. c. Royaume-Uni (req. n° 8416/78) ou parfois dans la littérature sous le nom de Paton c. Royaume-Uni.

    • 31 Commission E.D.H. 13 mai 1980, X. c. Royaume-Uni, req. n° 8416/79, DR, n° 19, § 25.

    • 32 Ibid., § 27. Voir: E. BREMS, S. OUALD-CHAIB, S. SMET et A. TIMMER, « Privéleven en gezinsleven », in EVRM R&C (aanvulling 87), Den Haag, Sdu Uitgevers, 2010, 3.8. – I.3.

    • 33 Le couple désirait un enfant mais la jeune femme, une fois enceinte, se ravisa et choisit d’avorter à quatorze semaines « pour des raisons d’ordre moral ». Son partenaire ne fut pas consulté et s’y opposa, mais en vain.

    • 34 Commission E.D.H. 19 mai 1992, H. c. Norvège, req. n° 17004/90, DR, n° 73, p. 184.

    • 35 C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88.

    • 36 C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, § 9.

    • 37 Ibid., § 17.

    • 38 Ibid., § 39.

    • 39 Ibid., § 55.

    • 40 Ibid., §§ 59-60.

    • 41 Ibid., § 63. En effet, « la protection des droits et libertés d’autrui » permet aussi de justifier une ingérence de l’État.

    • 42 Ibid., § 65.

    • 43 Ibid., § 66.

    • 44 Ibid., § 66.

    • 45 Ibid., § 68.

    • 46 Ibid., § 68.

    • 47 Ibid., §§ 70-74.

    • 48 Ibid., §§ 75-77.

    • 49 Ibid., § 80.

    • 50 F. SUDRE, « L’interdiction de l’avortement: le conflit entre le juge constitutionnel irlandais et la Cour européenne des droits de l’homme », Revue française de droit constitutionnel, n° 13, 1993, pp. 216 et 222.

    • 51 L. DUBOUIS, « La liberté d’information sur les possibilités d’IVG à l’étranger au regarde de la CEDH », Revue de droit sanitaire et social, 1993, p. 38; F. RIGAUX, « La diffusion d’informations relatives aux interruptions médicales de grossesse et la liberté d’expression », Rev. trim. dr. H., n° 14, 1993, p. 350.

    • 52 Voir: C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion concordante du juge MORENILLA. Ce juge estime que la disposition constitutionnelle irlandaise (art. 40) n’est pas une base législative suffisante et claire pour permettre « à l’individu de prévoir qu’il serait illicite de communiquer des informations sérieuses sur des cliniques de Grande-Bretagne pratiquant l l’avortement: ni la législation pénale, administrative ou civile alors en vigueur en matière d’avortement (…), ni la jurisprudence irlandaise (…) relative à la protection du droit à la vie des enfants à naître et antérieure au Huitième Amendement (…), n’offraient une base suffisante à une telle affirmation; d’ailleurs, avant la présente affaire la Cour suprême irlandaise n’avait pas eu l’occasion d’interpréter le Huitième Amendement. »

    • 53 Voir: L. DUBOUIS, 1993, pp. 38-39.

    • 54 C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion séparée du juge DE MEYER. Voir aussi: F. RIGAUX, 1993, p. 351.

    • 55 Contra: L. DUBOUIS (1993, pp. 39-40) qui estime que ce n’est pas à la Cour de déterminer le statut de l’embryon et de l’imposer aux États. C’est la tâche des États qui devraient, au mieux, s’accorder sur la question de la portée de l’article 2 de la Convention.

    • 56 Voir: C.E.D.H. (GC) 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, req. n° 5493/72, § 54.

    • 57 F. SUDRE, 1993, pp 219-220.

    • 58 C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion dissidente du juge CREMONA Voir: C.E.D.H. (GC) 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, req. n° 5493/72, § 48.

    • 59 F. SUDRE, 1993, pp. 220-221.

    • 60 A. THOMPSON, « International Protection of Women’s Rights: An Analysis of Open Door Councelling Ltd. and Dublin Well Women Centre v. Ireland », Boston University International Law Journal, vol. 12, n° 2, 1994, pp. 399-400.

    • 61 Ibid., p. 402.

    • 62 Ibid., p. 406.

    • 63 C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion dissidente du juge CREMONA. Voir aussi: F. SUDRE, 1993, p. 221; P. TAVERNIER, « Chronique de jurisprudence de la CEDH (année 1992) », JDI, n° 3, 1993, pp. 754-755.

    • 64 F. SUDRE, 1993, p. 220.

    • 65 F. SUDRE, 1993, p. 222.

    • 66 C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion dissidente du juge CREMONA.

    • 67 C.E.D.H. (plénière) 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, req. n° 14234/88 et 14235/88, opinion en partie dissidente du juge MATSCHER. Voir aussi: opinion dissidente des juges PETTITI, RUSSO, ROCHA et BIGI; opinion partiellement dissidente du juge BAKA; opinion dissidente du juge BLAYNEY.

    • 68 A. THOMPSON, 1994, p. 405.

    • 69 Ibid., p. 406.

    • 70 Voir: V. BERGER, Case Law of the European Court of Human Rights, Vol. III, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 214; F. SUDRE, M. LEVINET, B. PEYROT et B. ECOCHARD, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme - 1992 », Revue universelle des droits de l’homme, vol. 5, n° 1-2, 26 février 1993, p. 14; F. RIGAUX, 1993, p. 347.

    • 71 Comp.: C.J.C.E. 4 octobre 1991, The Society for the Protection of Unborn Children Ireland Ltd. et Grogan e. a., aff. C-159/90: l’affaire a eu lieu suite à une ordonnance de la Cour Suprême irlandaise interdisant à des associations d’étudiants irlandaises de diffuser des informations sur les possibilités d’avortement à l’étranger, conformément à la loi irlandaise. La Cour de Justice a jugé, d’une part, que les services liés à l’avortement tombent sous le champ d’application de la libre circulation des biens et services (art. 60 Traité CEE) et, d’autre part, que l’interdiction de la promotion de tels services par des tiers autres que les cliniques étrangères responsables des services d’interruption de grossesse ne viole pas le droit communautaire (art. 59 et 62 Traité CEE). L’arrêt de la Cour de Justice adopte une autre approche que celle de la Cour européenne des droits de l’homme: en effet, la Cour de Justice vise à la mise en œuvre du droit européen dans sa perspective économique pour assurer un marché commun tandis que la seconde veille au respect des droits fondamentaux de l’être humain par les États. Cette approche économique de la problématique peut choquer vu qu’au nom de l’économie, des valeurs telles que la dignité humaine, la transmission de la vie, la culture, etc. sont remises en cause. La Cour européenne a ainsi pris une autre direction que la Cour de Justice et s’est prononcée dans le sens d’une violation du droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH), liberté civile et non économique. Voir aussi: L. DUBOUIS, « L’interruption volontaire de grossesse au regard du droit communautaire », Revue de droit sanitaire et social, 1992, pp. 52-53; H. GAUDEMET-TALLON, « Interdiction de diffuser des informations au sujet de cliniques pratiquant des interruptions volontaires de grossesse dans d’autres États membres », RTD Eur., n° 1, 1992, pp. 163-180; F. RIGAUX, « La diffusion d’informations relatives aux interruptions médicales de grossesse et la liberté d’expression », Rev. trim. dr. H., n° 14, 1993, p. 345.

    • 72 F. RIGAUX, 1993, p. 347.

    • 73 C’est d’ailleurs la première fois que la Cour se base sur la protection de la morale pour juger d’une ingérence dans le droit à la liberté d’expression. Un tel sacrifice de la morale publique au bénéfice de la liberté d’expression est critiquable selon certains. Voir: F. SUDRE, M. LEVINET, B. PEYROT et B. ECOCHARD, 1993, p. 15.

    • 74 Voir: G. HOGAN, « The right to life and the abolition question under the European convention on human rights », in HEFFERMAN, L., Human rights. A European perspective, Dublin, Round Hall Press, 1994, p. 115.

    • 75 C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 5 septembre 2002, Boso c. Italie, req. n° 50490/99, p. 6.

    • 76 Ibid., pp. 6-7.

    • 77 Ibid., p. 7.

    • 78 J-P. MARGUÉNAUD, « Quand la Cour de Strasbourg joue le rôle d’une Cour européenne des droits de la Femme: la question de l’avortement », RTD civ., n° 2, 2003, p. 371.

    • 79 Voir: J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 374.

    • 80 E. BREMS, « Annotatie – EHRM, 07-03-2006, 6339/05 », EHRC, n° 47, 2006.

    • 81 Contra: C.E.D.H. (GC) 10 avril 2007, Evans c. Royaume-Uni, req. n° 6339/05. La situation dans cette affaire est cependant différente, car il ne s’agit pas d’avorter mais de recourir à une procréation médicalement assistée.

    • 82 J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 375.

    • 83 C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 5 septembre 2002, Boso c. Italie, req. n° 50490/99, pp. 5-6.

    • 84 J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 372.

    • 85 La loi italienne autorise l’avortement dans de nombreux cas, à savoir: « dans les douze premières semaines, lorsque la poursuite de la grossesse, l’accouchement ou bien la maternité pourraient mettre en danger la santé physique ou psychique de la femme compte tenu de l’état de santé de l’intéressée, des conditions économiques, sociales ou familiales, des circonstances dans lesquelles la conception a eu lieu, de la prévision d’anomalies ou de malformations du fœtus; au-delà des premiers quatre-vingt-dix jours, lorsque la grossesse ou l’accouchement entraînent un danger grave pour la vie de la femme et lorsque d’importantes pathologies ou malformations de l’enfant à naître représentent un danger grave pour la santé physique ou psychique de la femme. » (art. 5 de la loi n° 194 de 1978)

    • 86 J-P. MARGUÉNAUD, 2003, p. 374.

    • 87 Ibid.

    • 88 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, §§ 9-23.

    • 89 Ibid., §§ 105-106.

    • 90 Ibid., §§ 197-108.

    • 91 Ibid., § 110.

    • 92 Ibid., § 113.

    • 93 Ibid., § 116.

    • 94 Ibid., §§ 118, 127-128.

    • 95 Ibid., § 130.

    • 96 N. PRIAULX, « Testing the Margin of Appreciation: Therapeutic Abortion, Reproductive Rights and the Intringuing Case of Tysiaç v. Poland », European Journal of Health Law, vol. 15, n° 4, 2008, p. 368. Voir aussi: P. HENNION-JACQUET, 2007, p. 2650, qui estime que la Cour commence ainsi à voir dans l’article 8 de la Convention un droit subjectif à l’interruption volontaire de grossesse. Contra: B. MATHIEU, « L’avortement et la Convention EDH: la politique des petits pas de la Cour de Strasbourg », JCP G, n° 17, II, 10071, 27 avril 2007, p. 39, pour qui il est logique, vu la jurisprudence de la Cour dans les affaires Evans c. Royaume-Uni et Vo c. France concernant la fixation du commencement du droit à la vie, que les États puissent légiférer librement en matière d’avortement; C. RENAUT, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », JDI, n° 3, chron. 5, juillet 2008, p. 808, qui affirme que la majorité des juges a précisément pris des précautions pour ne pas s’engager dans le débat de l’existence d’un droit abstrait à l’avortement garanti par la Convention; D. ROMAN, « L’avortement devant la Cour européenne. À propos de l’arrêt CEDH, 20 mars 2007, Tysiac c/ Pologne », Revue de droit sanitaire et social, n° 4, 20 mars 2007, p. 646.

    • 97 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion concordante du juge BONELLO. Il ajoute également que « [l]a décision prise dans la présente cause concerne un pays qui a déjà rendu l’avortement médical légal dans certains cas précis. La Cour était seulement appelée à statuer sur une question: existait-il, en cas de divergence d’opinion (entre une femme enceinte et les médecins ou entre les médecins eux-mêmes) quant à savoir si les conditions nécessaires pour obtenir un avortement légal étaient ou non réunies, un mécanisme effectif permettant de trancher ce point? ».

    • 98 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion concordante du juge Bonello.

    • 99 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, § 103.

    • 100 Ibid., § 104; N. PRIAULX, 2008, p. 368. Contra: S. PATTINSON, Medical law and ethics (5ème éd.), London, Thomson Reuters, 2016, p. 255.

    • 101 N. PRIAULX, 2008, p. 369. Dans ce sens: P. HENNION-JACQUET, 2007, p. 2651.

    • 102 J. CORNIDES, « Human Rights Pitted Against Man », International Journal of Human Rights, vol. 12, n° 1, 2008, p. 127.

    • 103 N. PRIAULX, 2008, p. 373.

    • 104 Com. D. H., UN Human Rights Committee: Fifth periodic report: Poland, 26 janvier 2004, CCPR/C/POL/2004/5.

    • 105 Com. D. H., UN Human Rights Committee: Observations: Poland, 28 octobre 2004, CCPR/C/SR.2251.

    • 106 J-M. LARRALDE, 2007, pp. 871-872.

    • 107 Ibid., p. 855.

    • 108 Ibid., pp. 862-863.

    • 109 J-M. LARRALDE, 2007, pp. 864-865.

    • 110 J-P. MARGUÉNAUD, « La Cour de Strasbourg, Cour européenne des droits de la Femme: la question de l’accès à l’avortement thérapeutique », RTD civ., n° 4, 2007, p. 294; C. NGWENA, « Commentary on L. C. v. Peru: The CEDAW Committee’s First Decision on Abortion », Journal of African Law, vol .57, n° 2, 2013, p. 321; D. ROMAN, 2007, pp. 648-649.

    • 111 J-P. MARGUÉNAUD, 2007, p. 294; D. ROMAN, 2007, p. 649.

    • 112 C. NGWENA, 2013, p. 321.

    • 113 J-M. LARRALDE, 2007, pp. 866-868; J-P. MARGUÉNAUD, 2007, p. 294; F. SUDRE, « Droit de la Convention européenne des droits de l’homme », J.C.P., n° 36, 5 septembre 2007, p. 30.

    • 114 J-P. MARGUÉNAUD, 2007, p. 294.

    • 115 Dans ce sens: B. MATHIEU, 2007, p. 40.

    • 116 C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 27 juin 2006, D. c. Irlande, req. n° 26499/02. Dans cette affaire, la requérante, mère de deux enfants, est enceinte de jumeaux, dont un décédé à la huitième semaine de grossesse et l’autre atteint du syndrome d’Edwards. Elle a dû se rendre en Angleterre afin de pouvoir avorter.

    • 117 C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 27 juin 2006, D. c. Irlande, req. n° 26499/02, § 101.

    • 118 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion dissidente du juge BORREGO BORREGO.

    • 119 P. HENNION-JACQUET, 2007, p. 2651.

    • 120 C.E.D.H. (décision sur la recevabilité) 27 juin 2006, D. c. Irlande, req. n° 26499/02, § 97.

    • 121 Ibid., § 90.

    • 122 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, § 110.

    • 123 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion dissidente du juge BORREGO BORREGO. Dans ce sens: P. HENNION-JACQUET,, 2007, p. 2650.

    • 124 C.E.D.H. 20 mars 2007, Tysiaç c. Pologne, req. n° 5410/03, opinion dissidente du juge BORREGO BORREGO. Dans ce sens: B. MATHIEU, 2007, p. 40, qui estime que la Cour fait prévaloir le principe de liberté sur celui de dignité, ou, vu plus globalement, de droit subjectif sur celui de liberté objective. Contra: J-P. MARGUÉNAUD, 2007, pp. 294-295. Selon Marguénaud, la conclusion tirée par le juge Borrego Borrego est incorrecte: la Cour ne prétend à aucun moment que le jugement des médecins était incorrect et que l’avortement demandé par la requérante était médicalement justifé; ce qu’elle avance, c’est que la procédure en cas de désaccord était inadéquate.

    • 125 N. PRIAULX, 2008, p. 373.

    • 126 Dans ce sens: Ibid., p. 376.

    • 127 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05.

    • 128 L’article 40.3.3. de la Constitution irlandaise fut pour la dernière fois modifié par le 36ème amendement, approuvé par un référendum du 25 mai 2018, qui déclare que l’assemblée législative est désormais compétente pour légiférer sur la question de l’avortement. Cet amendement est en vigueur depuis le 18 septembre 2018. L’avortement est désormais autorisé jusqu’à la douzième semaine de grossesse

    • 129 G. WILLEMS et L. COHEN, « Regards croisés de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies sur le droit à l’avortement – obs. sous Com. dr. h., const. Mellet c. Irlande, 31 mars 2016 », Rev. trim. dr. h., n° 111, 2017, p. 567.

    • 130 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, § 3.

    • 131 Ibid., § 14.

    • 132 Ibid., § 19.

    • 133 Ibid., §§ 23-24.

    • 134 Ibid., § 113.

    • 135 Ibid., §§ 158 et 164.

    • 136 Ibid., §§ 269-274. En ce qui concerne l’article 14 junco article 8, la Cour estime que ses conclusions relatives à l’article 8 sont suffisantes; concernant l’article 13, la Cour déclare que « l’article 13 ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois – à plus forte raison les dispositions de la Constitution – d’un État contractant comme contraires à la Convention ».

    • 137 Ibid., § 212. Voir: C.E.D.H. (GC) 10 avril 2007, Evans c. Royaume-Uni, req. n° 6339/05, § 71.

    • 138 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, §§ 212-214.

    • 139 Ibid., § 216.

    • 140 Ibid., §§ 253-268.

    • 141 Ibid., §§ 219-221.

    • 142 Ibid., §§ 226-228.

    • 143 Ibid., § 229.

    • 144 Ibid., § 230.

    • 145 Ibid., § 232.

    • 146 Ibid., §§ 232-233.

    • 147 Ibid., § 235.

    • 148 Ibid., § 237.

    • 149 Ibid., § 238.

    • 150 Ibid., §§ 239, 341.

    • 151 Ibid., § 253.

    • 152 Ibid., §§ 254-255.

    • 153 Ibid., § 264.

    • 154 Ibid., §§ 267-268.

    • 155 X., « Embryo donation: in vitro fertilisation – scientific research », European Human Rights Law Review, n° 6, 2015, p. 659.

    • 156 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion concordante des juges GUERRA et CASADEVALL.

    • 157 Ibid.

    • 158 E. BIRDEN, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (année 2010) », JDI, n° 4, chron. 12, octobre 2011, pp. 43-44.

    • 159 Voir: G. GONZALEZ, « Le contrôle de la marge nationale d’appréciation », in SUDRE, F., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme (9ème éd.), Paris, PUF, 2019, p. 91; D. ROMAN, « L’avortement devant la Cour EDH: l’Europe contre les femmes et au mépris de son histoire », Revue de droit sanitaire et social, n° 2, 2011, p. 299.

    • 160 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion concordante de la juge GEOGHEGAN.

    • 161 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion en partie dissidente des juges ROZAKIS, TULKENS, FURA, HIRVELÄ, MALINVERNI et POALELUNGI. Dans ce sens: D. ROMAN, 2011, p. 299.

    • 162 D. ROMAN, p. 301.

    • 163 Ibid., p. 302.

    • 164 S. MCGUINNESS, « A, B and C leads to D (for delegation!). Commentary A, B and C v. Ireland 25579/05 (2010) ECHR 2032 », Medical law review, n° 19, été 2011, pp. 490-491.

    • 165 Comp.: Com. E.D.S. 10 septembre 2013, IPPF-EN c. Italie, récl. n° 87/2012, § 65, qui réfère à la Résolution (Conseil de l’Europe) n° 1607 (2008) de l’Assemblée parlementaire du 16 avril 2008 relative à l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe, art. 4.

    • 166 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, opinion en partie dissidente des juges ROZAKIS, TULKENS, FURA, HIRVELÄ, MALINVERNI et POALELUNGI. Dans ce sens: P. LONDONO, « Redrafting abortion rights under the Convention: A, B and C v. Ireland », in BREMS, E., Diversity and European human rights: rewriting judgments of the ECHR, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, pp. 112-113; G. WILLEMS et L. COHEN, 2017, p. 570.

    • 167 Ibid., p. 571.

    • 168 P. LONDONO, 2012, pp. 113-114, 118-120.

    • 169 G. WILLEMS et L. COHEN, 2017, pp. 571-572.

    • 170 D. ROMAN, 2011, pp. 293 et 297.

    • 171 Ibid., p. 294.

    • 172 Ibid., p. 295.

    • 173 Ibid., p. 296.

    • 174 Ibid., p. 295.

    • 175 Voir: C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, § 213.

    • 176 Voir: Ibid., § 228.

    • 177 Ibid., § 214. Voir aussi: E. BIRDEN, 2011, p. 43; D. ROMAN, 2011, pp. 294 et 297.

    • 178 Voir: E. BIRDEN, 2011, p. 44; J-M. LARRALDE, « La reconnaissance des avortements thérapeutiques s’impose aux Etats », L’Essentiel de la famille et des personnes, n° 2, 15 février 2011, p. 2; M. LEVINET, « Valeurs morales et restrictions à l’avortement », JCP G, n° 3, 17 janvier 2011, p. 58.

    • 179 D. ROMAN, 2011, p. 297.

    • 180 Dans ce sens: P. LONDONO, 2012, p. 99.

    • 181 C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, §§ 13, 16.

    • 182 Ibid., §§ 18-33.

    • 183 Ibid., §§ 38, 43.

    • 184 Ibid., §§ 90-91.

    • 185 Ibid., §§ 160-162.

    • 186 Ibid., § 180.

    • 187 Ibid., § 181.

    • 188 Ibid., §§ 186-187.

    • 189 Ibid., § 191.

    • 190 Ibid., § 197.

    • 191 Ibid., § 200.

    • 192 La clause de conscience est « [i]nvocable (notamment) par les personnels médicaux, [et] elle autorise ceux-ci à ne pas pratiquer d’actes qui pourraient être de nature à heurter leurs convictions morales, éthiques, ou surtout religieuses ». J-M. LARRALDE, « Le Comité européen des droits sociaux face aux dysfonctionnements des interruptions de grossesse », Rev. trim. dr. h., n° 102, 2015, p. 407.

    • 193 C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, §§ 203-205.

    • 194 Ibid., § 210.

    • 195 C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, opinion partiellement dissidente du juge BRATZA.

    • 196 C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, §§ 159-160; A. HENDRIKS, « Noot – EHRM 26-05-2011 », EHRC, n° 109, 2009, § 6.

    • 197 L. BURGORGUE-LARSEN, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme », Actualité juridique: droit administratif, n° 35, 2011, pp. 1993-2004; E. IRELAND, « Do Not Abort the Mission: An Analysis of the European Court of Human Rights Case of R.R. v. Poland », North Caroline Journal of International Law and Commercial Regulation, vol. 38, n° 2, 2013, pp. 685 et 690; J-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement: entre avancées prudentes et conservatisme assumé », Rev. trim. dr. h., n° 91, 2012, p. 614; A. TIMMER, « R.R. v. Poland: of reproductive health, abortion and degrating treatment », Strasbourgobservers, 31 mai 2011, disponible sur: https://strasbourgobservers.com/2011/05/31/r-r-v-poland-of-reproductive-health-abortion-and-degrading-treatment/, consulté le 29 octobre 2019. Voir aussi: A. ZUREICK, « (En)Gendering Suffering: Denial of Abortion as a Form of Cruel, Inhuman, or Degrading Treatment », Fordham International Law Journal, vol. 38, n° 1, janvier 2015, p. 117.

    • 198 F. SUDRE, « L’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants – Mauvais traitements », in SUDRE, F., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme (9ème éd.), Paris, PUF, 2019, pp. 174-175.

    • 199 A. TIMMER, 2011.

    • 200 I. GALLMEISTER, « La législation polonaise relative à l’avortement à l’épreuve de la CEDH », Dalloz actualité, 27 juin 2011; A. HENDRIKS, 2009, § 6; A. ZUREICK, 2015, p. 119.

    • 201 A. HENDRIKS, 2009, § 7.

    • 202 J-M. LARRALDE, 2012, pp. 614-615.

    • 203 C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, opinion partiellement dissidente du juge GAETANO.

    • 204 J-M. LARRALDE, 2012, pp. 613-614.

    • 205 A. HENDRIKS, 2009, §§ 1 et 11.

    • 206 J-M. LARRALDE, 2012, p. 618.

    • 207 Dans ce sens, voir: J-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement: entre avancées prudentes et conservatisme assumé », Rev. trim. dr. h., n° 91, 2012, pp. 616-617; F. SUDRE, « Droit de la Convention européenne des droits de l’homme », J.C.P., n° 35, 29 août 2011, p. 1510.

    • 208 C.E.D.H. 26 mai 2011, R.R. c. Pologne, req. n° 27617/04, § 192.

    • 209 Ibid., § 210.

    • 210 J-M. LARRALDE, 2012, pp. 619-620.

    • 211 Voir: Ibid., p. 622.

    • 212 Ibid., p. 621.

    • 213 L. LAVRYSEN, « R.R. v. Poland: health rights under Art. 8 ECHR », Strasbourgobservers, 2 juin 2011, disponible sur: https://strasbourgobservers.com/2011/06/02/r-r-v-poland-health-rights-under-art-8-echr/https://strasbourgobservers.com/2011/06/02/r-r-v-poland-health-rights-under-art-8-echr/#more-1046https://strasbourgobservers.com/2011/06/02/r-r-v-poland-health-rights-under-art-8-echr/#more-1046, consulté le 29 octobre 2019.

    • 214 A. HENDRIKS, 2009, § 13. Voir aussi: J-M. LARRALDE, 2012, pp. 620-621.

    • 215 C.E.D.H. 30 octobre 2012, P. et S. c. Pologne, req. n° 57375/08, §§ 6-9.

    • 216 Ibid., §§ 11-41.

    • 217 Ibid., § 97.

    • 218 Ibid., § 99.

    • 219 Ibid., § 100.

    • 220 Ibid., §§ 106-107.

    • 221 Ibid., §§ 111-112.

    • 222 Ibid., §§ 162-169.

    • 223 C.E.D.H. 30 octobre 2012, P. et S. c. Pologne, req. n° 57375/08, opinion partiellement dissidente du juge GAETANO.

    • 224 A. HENDRIKS, « Noot – EHRM 30-10-2012 », EHRC, n° 15, 2013, § 7.

    • 225 Ibid., § 7.

    • 226 A. HENDRIKS, 2013, § 7.

    • 227 D. FEMWICK, « ’Abortion jurisprudence’ at Strasbourg: deferential, avoidant and normatively neutral? », Legal Studies, vol. 34, n° 2, 2014, p. 223.

    • 228 En ce qui concerne l’aspect procédural des différentes affaires, voir: J. ERDMAN, « Procedural Turn in Transnational Abortion Law », American Society of International Law Proceedings, vol. 104, 2010, pp. 378-379.

    • 229 J. WESTESON, « P. and S. v. Poland: adolescence, vulnerability, and reproductive autonomy », Strasbourgsobserver, 5 novembre 2012, disponible sur: https://strasbourgobservers.com/2012/11/05/p-and-s-v-poland-adolescence-vulnerability-and-reproductive-autonomy/, consulté le 5 novembre 2019.

    • 230 C.E.D.H. 30 octobre 2012, P. et S. c. Pologne, req. n° 57375/08, §§ 67-68.

    • 231 Ibid., § 69.

    • 232 C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17.

    • 233 C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17.

    • 234 C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17, § 25; C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17, § 20.

    • 235 Ibid.

    • 236 C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17, § 26; C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17, § 21.

    • 237 C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Grimmark c. Suède, req. n° 43726/17, §§ 26-27; C.E.D.H. (recevabilité) 12 mars 2020, Steen c. Suède, req. n° 62309/17, §§ 21-22.

    • 238 Dans ce sens: G. PUPPINCK, « Avortement: trois juges de la CEDH sapent le droit à l’objection de conscience », Valeurs actuelles, 13 mars 2020, disponible sur: https://www.valeursactuelles.com/societe/avortement-trois-juges-de-la-cedh-sapent-le-droit-lobjection-de-conscience-117044, consulté le 23 mars 2020.

    • 239 G. PUPPINCK, 2020.

    • 240 G. PUPPINCK, 2020.

    • 241 Voir aussi: T. VANSWEEVELT, « Abortus », in VANSWEEVELT, T. en DEWALLENS, F. (éds.), Handboek Gezondheidsrecht (Vol. II). Rechten van patiënten: van embryo tot lijk, Antwerpen, Intersentia, 2014, pp. 222-223.

    • 242 D. FEMWICK, 2014, pp. 231-233.

    • 243 Voir: Ibid., p. 227.

    • 244 Ibid., p. 230.

    • 245 Ibid., pp. 235-236.

    • 246 En droit belge, il deviendra également le père juridique si la femme ou l’enfant l’y contraint au moyen d’une action en recherche de paternité (voir art. 322 juncto 332quinquies ancien C.C.).

    • 247 Dans ce sens, voir: E. GULDIX, « Het recht op voortplanting », in VANSWEELVELT, T. en DEWALLENS, F. (éds.), Handboek Gezondheidsrecht (Vol. II). Rechten van patiënten: van embryo tot lijk, Antwerpen, Intersentia, 2014, p. 14.

    • 248 D. FEMWICK, 2014, p. 229.

    • 249 C.E.D.H. (GC) 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, req. n° 25579/05, § 233.


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